Home, sweet home

Le cottage

La demeure en question est un cottage à un étage et grenier, du genre où vivrait un fermier aisé, qui doit bien avoir été bâti il y a deux siècles, mais se révèle curieusement fort bien préservé. Dans la cour qu’ils traversent travaille un grand jeune homme bien charpenté, à qui Lily fait brièvement signe. L’endroit est entretenu avec soin, bien qu’ayant sans doute connu des jours meilleurs financièrement parlant (il ne doit plus être utilisé comme une ferme véritable, servant simplement à subvenir aux besoins personnels de ses habitants), et il ne fait nul doute pour Liam et Floyd qu’ils sont arrivés là dans une maison occupée par des mages, surtout au vu des relents de Quintessence qui s’échappent du puits dans ladite cour. Ils pénètrent dans le couloir d’entrée à la suite de Lily, qui, accrochant sa pelisse à une patère, lance à la cantonnade: “Papa? Je suis rentrée. Ce n’était qu’une fausse alerte. Mais nous avons deux invités, c’est Ami qui les a trouvés.” Lily n’attend pas de réponse et, précédée par “Ami” en question, mène les deux nouveaux arrivants à son père, qui pour le moment leur tourne le dos, assis dans un grand fauteuil face à la cheminée où brûle un bon feu.

Celui qui existait vraiment

A peine Floyd a-t-il le temps de dire bonjour et de décliner leurs identités que le père en question se tourne à demi vers eux, une exclamation de surprise sur les lèvres — et la surprise est de taille pour eux aussi, car il est impossible de se tromper quant à ce visage au front et aux joues marqués de tatouages bleus: il s’agit de celui d’Ezekiel, qui contrairement à certaines hypothèses à donc bel et bien une existence physique dans ce monde. Presque dans la foulée, il s’excuse de ne pouvoir les accueillir comme il se doit, n’étant pas au meilleur de sa forme; effectivement, au vu de son regard perdu dans le vide et de sa pâleur et de ses  cernes plus que prononcés, Floyd ne peut s’empêcher de laisser ses réflexes de médecin prendre le dessus et de demander la permission de l’ausculter. Force lui est de constater que l’homme est dans un état d’épuisement encore assez prononcé, et pas encore remis de sa confrontation onirique avec Dresca.

Liam et Floyd saisissent cette l’occasion de parler avec lui de vive voix pour la première fois, tandis que Lily leur prépare aimablement un thé (et va s’enquérir auprès de son frère Douglas de si oui ou non il leur reste du whisky pour Liam). Ezekiel semble un peu plus présent mentalement que dans l’Oneiros, même si ses réflexions demeurent toujours erratiques. Les différences sont aussi d’ordre physique, puisque sa véritable apparence est un peu plus âgée (dans les trente-cinq ans, sans doute), et qu’il porte non pas son étrange cape irisée, mais une simple chemise blanche, gilet et pantalon sombre, comme il siérait en fait à un membre de la gentry, quoi qu’une gentry plutôt désargentée. Socialement, néanmoins, cet homme est clairement un paria: qui diantre accepterait de ne serait-ce que parler à quelqu’un dont le visage arbore de telles marques…

Né(s) du Crépuscule

Confortablement installés eux aussi dans des fauteuils, thé et whisky maintenant servis, une bonne odeur de ragoût emplissant la maison alors que Lily s’active dans la cuisine pour préparer le dîner, Floyd et Liam goûtent un agréable moment, de ceux qui leur ont fort fait défaut depuis quelques semaines. Au bout d’un moment, Ezekiel leur demande tout de même ce qu’ils faisaient à Dresca, et ils lui expliquent rapidement leur passage par l’ouverture qu’il avait aidée à concrétiser dans l’Oneiros, avant de le rassurer: cette ouverture ne menait pas directement au village dévasté de Dresca. A cette occasion, ils apprennent que les cercles de pierre font partie d’un ancien réseau jadis utilisé par les mages pour voyager rapidement de Node en Node, réseau abandonné depuis l’époque de la Grande Contradiction, car devenu trop dangereux à utiliser. Ce terme, le même que celui utilisé par Aidan Clarick, les interpelle. Ezekiel leur dit qu’il date de l’époque de Naseby, qu’il n’a pas connue, puisqu’il venait seulement de naître — en 1645, donc, lui rappelle Lily. Là aussi, cela correspond avec ce que disait Clarick, et Floyd en reste estomaqué: lui qui dans les rêves avait toujours eu tendance à considérer Ezekiel comme un gamin attardé, vient de se rendre compte que le “gamin” est dix fois plus âgé que lui, malgré son comportement…

Liam lui demande des nouvelles de Genevra, ce à quoi Ezekiel ne peut pas vraiment répondre, car depuis son “retour” dans son corps, il n’a pas vraiment été capable de parcourir l’Oneiros. A cette occasion, Floyd et Liam constatent deux choses: qu’il a visiblement un certain complexe de culpabilité, présentant ses excuses pour avoir été “si faible” (concernant la Porte, concernant Genevra, concernant le fait qu’il essaye toujours de faire de son mieux mais que cela échoue à chaque fois…), et qu’il a tendance à prendre des décisions rapides (“Je peux essayer d’aller tout de suite la contacter en rêve”) sans même réfléchir à son propre état physique, et de plus à poursuivre ces pensées en boucle avant que quelqu’un parvienne à le faire passer à autre chose. Quoi qu’il en soit, il désire vraiment aider à protéger Genevra, “née du Crépuscule tout comme moi… et comme vous aussi, d’ailleurs”, ajoute-t-il à l’adresse d’un Floyd qui proteste, ne comprenant même pas de quoi il est question. Le jeune médecin proteste d’autant plus que Liam avance l’idée que cela désigne très certainement des gens qui se sont Eveillés (“nés” en tant que mages) et ont immédiatement plongé dans le Silence… Ezekiel, qui ne réalise même pas qu’il vient de mettre les pieds dans le plat, en rajoute en affirmant qu’il ne faut pas craindre le Crépuscule, si l’on ne veut pas être vaincu par lui.

Dresca

Ce petit instant de dénégation passé, Floyd lui demande ce qu’il fait ici — à quoi Ezekiel répond qu’il habite en ces lieux, et qu’il est pour ainsi dire le “gardien” de Dresca, une ancienne Alliance de mages de plusieurs Maisons de l’Ordre d’Hermès (Alliance dont faisait d’ailleurs partie son père, Aaron). L’endroit est resté en l’état depuis la catastrophe qui l’a frappé en 1645, une fissure dans la Réalite qui demeure figée, où rien ne peut jamais changer. Il dit à Liam et Floyd qu’ils ont vraiment eu de la chance de ne pas être absorbés dans la Fissure, d’autant plus que quelques “alertes” ont eu lieu au cours des semaines passées, signes peut-être d’ouvertures similaires, mais dont les infortunés passagers, eux, ne sont pas parvenus à quitter le village assez rapidement. Lui-même, d’ailleurs, le seul à pouvoir y survivre plus de quelques minutes, ne peut pas y rester très longtemps. Quant au “poème” sur le montant de pierre, il fait partie d’une série d’avertissements placés là jadis par Aaron Lannister et ses alliés aux quatre entrées de l’ancienne Alliance, adressés à ceux que la résonnance de l’endroit ne suffirait pas à éloigner d’instinct.

Inquiets quant au sort de Charles, les deux mages s’enquièrent d’éventuels autres “passagers”, mais Lily et Douglas n’avaient pas trouvé traces d’autres êtres humains dans les heures et les jours précédents. Liam émet l’hypothèse qu’il est peut-être tout simplement parti avec un peu d’avance, et qu’ils le retrouveront à Londres. Lorsqu’ils disent à Ezekiel qui a officié le rituel du cercle, celui-ci sourit: “Le roi des Haggis? Le vieux Foggis? Il est donc toujours en vie…” Visiblement, il l’a déjà rencontré dans l’Oneiros, et est soulagé d’apprendre que tout cela n’est pas du fait d’un autre mage, et ne se reproduira donc pas. Liam demeure tout de même inquiet, songeant aux trois membres de Dresca qui étaient parvenus à utiliser l’Echelle avant qu’elle ne soit détruite: et si c’étaient eux qui essayaient de passer par le cercle? Floyd essaye de minimiser cette idée, d’autant plus qu’Ezekiel se met à trembler de crainte dès qu’ils lui disent qu’il s’agit là des gens l’ayant attaqué dans l’Oneiros: impossible qu’ils aient pu contrôler leur point d’arrivée, si tant est qu’ils sont toujours en vie, et Ezekiel ne doit surtout pas se sentir coupable. “C’est curieux, c’est ce que me répète toujours mon frère,” dit Ezekiel, ce qui provoque un certain énervement chez Floyd, d’autant plus que sans le vouloir, il se retrouve même au final à chercher des excuses au comportement d’Aidan (“Après des siècles d’existence, c’est sans doute normal que le reste du monde ne lui importe plus, à part vous…”), chose sur laquelle Liam ne manque pas de mettre le doigt.

Une simple famille

S’ensuit un moment de silence gêné, uniquement ponctué par le bruit des casseroles en provenance de la cuisine. Floyd finit par suggérer d’aller aider Lily, et insiste en tant que médecin pour qu’Ezekiel se repose encore un peu ici en attendant. Il lui tend sa carte avec son adresse à Londres en cas de besoin, mais curieusement, Ezekiel ne fait pas un geste pour la prendre. Dans la cuisine, ils discutent tous deux avec Lily, qui finit par se douter que ce sont eux qui ont suggéré à son père de faire “une chose aussi stupide” (il était resté inconscient pendant plus de cinq jours); cependant, elle ne leur en veut pas, car prendre une telle décision ressemble tellement à Ezekiel qu’à peu près n’importe qui serait parvenu à le convaincre sans trop d’effort.  Pour Floyd, son état n’est pas alarmant, mais il faut absolument lui éviter une nouvelle décorporation pendant une bonne semaine au bas mot, sans parler du repos nécessaire. Avec un très léger sourire de conspirateur, Lily ouvre un placard et leur montre une petite fiole: un somnifère de sa composition, qui agit en une demi-heure et empêche le dormeur de rêver.

Tout le monde se réunit autour de la grande table en chêne de la cuisine pour le dîner. Nouvelle surprise, surtout pour Floyd, lorsque Ezekiel arrive en s’aidant de son chien pour le soutenir et révèle avec un grand sourire enfantin qu’il l’a eu “pour ses huit ans”. Surprise gênée également, mais heureusement passagère, en se rendant compte que Douglas Lannister, sous ses dehors sympathiques de bon fils de fermier à la poigne solide, a tout de même la même tête que celui qui avait tenté de pourfendre Charles dans l’église de Greenwich. D’autres interrogations pour eux lorsqu’ils remarquent que Lily s’emploie à couper la viande de son père, ce qui les pousse à se demander, suite à cela et à d’autres petites choses, si Ezekiel est vraiment “là” où si sa vision ne serait pas tournée vers l’Oneiros plutôt que vers le monde réel. Liam en arrive même à engueuler Crumpet, qui, sans gêne, vient littéralement voler le bout de viande au bout de la fourchette d’Ezekiel, sans que ce dernier ne remarque quoi que ce soit — même Ami se comporte mieux que cela, qui mange dans sa gamelle à leurs pieds et n’en met pas une miette à côté.

Le repas se déroule somme toute dans une atmosphère de calme et de détente, sans tensions ni sujets qui fâchent, et c’est le ventre plein que Liam et Floyd peuvent ensuite prendre un repos bien mérité après toutes leurs péripéties, la famille Lannister les ayant gentiment conviés à rester chez eux quelques jours… même s’il va leur falloir dormir tous deux dans le même lit. C’est dans le petit salon qu’ils attendent que ledit lit soit préparé. Tandis que Floyd s’endort déjà dans un fauteuil, bientôt imité par Ezekiel qui demeure encore assez faible, Liam demande à Douglas quel jour ils sont: le vendredi 17 décembre. Quand le Verbena dit devoir se rendre à Stonehenge pour le 21, Douglas lui propose de le conduire à la gare de Durham, puisqu’il doit de toutes manières se rendre le lendemain matin à Waldridge pour le marché. Ce qui n’empêche pas le jeune homme de tenter de retenir les deux mages jusqu’à Noël et plus, content qu’il est de voir que son père a tout de même quelques amis. Liam accepte de prolonger leur séjour jusqu’au dimanche.