A l’origine, Dangerous Acquaintances n’était absolument pas prévu au programme; ce court scénario est né de l’invocation accidentelle de deux Spectres, à l’issue de Shadow People, par Floyd Alexander, qui a désiré ensuite réparer son erreur. Les joueurs d’Ed et du Colonel n’ont pu être présents à cette séance, ce qui explique leur inactivité; qu’à cela ne tienne, ce trou sera comblé dans un épisode à venir. Par ailleurs, ce qui devait être un solo nous a aussi donné l’occasion de faire intervenir un nouveau PJ: Charles Amberville.

La maison qui ne dormait pas

Inquiétudes

Londres, le 3 novembre 1880, aux alentours de minuit… Après leur furieuse chevauchée à travers les rues obscures de la capitale, Floyd, Ed et le Colonel regagnent enfin le manoir Alexander. Durant tout le trajet, le jeune vendeur de journaux s’est employé à consoler le petit James, qui ne s’est finalement calmé et endormi que peu de temps avant que Wilfried n’arrête la berline devant le grand portail; quant à Genevra, c’est toujours endormie que le Colonel l’a portée à l’intérieur, sous les regards effarés d’une Sonia en chemise de nuit et morte d’inquiétude quant à l’absence de son maître et de son frère…

Les deux jours qui suivent se passent dans une angoisse des plus palpables. Floyd, craignant toujours que les deux Spectres ne l’aient suivi, s’empresse de mettre en place un rituel qui, à défaut de les arrêter, aurait du moins pour effet de l’avertir de leur présence; il rassemble également ses “locataires” afin de les prévenir de la présence en ville de deux des leurs, à l’apparence monstrueuse et au comportement peu sociable. Si les deux plus jeunes arrivants semblent acquiescer à sa demande de lui signaler tout être qui ressemblerait à une telle description, Messieurs Peabody et Ratchett, entre autres, ressortent fort inquiets de cette discussion, et pendant ces deux jours, une agitation fébrile règne alors au manoir, les Revenants semblant se calfeutrer dans les pièces du premier étage comme si leur non-vie en dépendait.

Floyd et ses deux compagnons eux-mêmes prennent soin de ne pas sortir, s’employant tout d’abord à réorganiser la demeure et se procurer un lit d’appoint afin d’installer temporairement Genevra dans le cabinet de consultation. S’il faut bien finalement laisser repartir Ed, qui ne peut se permettre de manquer ainsi des jours de travail supplémentaires, l’Euthanatos lui fait bien jurer de ne s’approcher sous aucun prétexte des quartiers au sud de la Tamise. Quant au Colonel, il finit par se remettre au dressage des chevaux; mais au cours de la matinée du 5 novembre, un messager se présente au manoir, porteur d’un message émanant a priori d’un membre de son club, et lui demandant de le rencontrer. A la fin de la journée, MacDubtach se rend donc sur Tottenham Court Road afin d’honorer ce rendez-vous soudain; le lendemain matin, Floyd se rend compte que son ami n’est pas rentré, et plusieurs jours se passent sans que le Colonel ne redonne signe de vie.

Ajoutant encore à l’inquiétude du jeune Euthanatos, Ed lui ramène un exemplaire du Daily Mail dans lequel un court article attire son attention. Cet article relate la mort à première vue accidentelle d’un officier de police qui patrouillait dans le quartier de Brockwell Park, et là où les nouvelles officielles ne voient qu’un simple accident, Floyd ne peut s’empêcher de trouver un sinistre écho de ce qui s’est passé dans la demeure des Morrow. Pour couronner le tout, le médecin en lui ne peut que constater, impuissant, que la jeune Genevra semble avoir été plus durement frappée qu’il ne le pensait par la catastrophe de Dulwich Road. Elle ne présente pas de signes de maladie ou de problèmes physiques particuliers; cependant, depuis leur retour, elle ne s’est pas réveillée, ne s’agitant que de temps à autre dans son sommeil, comme troublée par quelque rêve. Cela pourrait n’être qu’une indication qu’elle a besoin de repos, mais bientôt se pose le problème de son alimentation: si la situation se prolonge, l’adolescente finira invariablement par s’affaiblir et par en mourir.

La part d’ombre

Torturé par ces questions ainsi que par la culpabilité d’avoir commis une erreur et fait venir en ce monde deux créatures qui n’auraient jamais dû s’y trouver, Floyd s’assoupit ce soir-là dans sa bibliothèque. Il est soudainement réveillé tard dans la nuit par un étrange chant, d’une pureté presque inhumaine, résonnant dans toute la maisonnée. Pourtant, ni Ed, ni James qui dort avec lui, ni les serviteurs ne se réveillent, et Floyd se rend compte que ce son n’existe de fait pas dans le monde des vivants. Guidé par la voix, il gravit les marches menant au premier étage, où il croise trois fantômes. Parmi eux se trouve Mr. Ratchett, son vieux chapeau presque tordu entre ses mains; tous contemplent avec une sorte de crainte révérencieuse la porte close de l’ancienne chambre d’amis située au bout du long couloir, et de laquelle parviennent et le curieux chant, et de sourds plaintes et grognements. Aux questions de Floyd concernant le propriétaire de cette voix, Mr. Ratchett répond qu’il s’agit de la mystérieuse jeune fille ayant fait son apparition au manoir quelques jours auparavant, et qu’il ne faut pas la déranger, car elle est en train de soigner Victor — ou plutôt, son âme.

Fort étonné, mais devinant qu’il s’agit de quelque chose d’important, Floyd décide d’attendre. Lorsque le chant finit par s’interrompre, c’est effectivement la jeune fille à l’ombrelle, aussi calme qu’à leur première rencontre, qui sort de la chambre. Floyd craint un instant de l’avoir dérangée, ce à quoi elle répond par la négative; puis, l’Euthanatos demandant s’il serait possible de lui parler quelques minutes, elle accepte, et c’est avec surprise que le propriétaire des lieux voit ses autres locataires s’éloigner sur un simple geste de sa part, leurs yeux toujours empli de cette révérence qu’il ne leur avait encore jamais vue.

La jeune fille dit s’appeler Wilhelmina Wallenstein, un nom bien peu commun en ces régions, mais annonçant une respectabilité certaine. Floyd avoue son incompréhension quant aux soins qu’elle apportait à Victor, et elle tente de lui expliquer que les leurs peuvent parfois perdre le contrôle face à leurs pulsions les plus obscures, et qu’elle ne faisait que calmer son compagnon, dévoré par la peur qui avait fini par prendre possession de lui. L’Euthanatos réalise alors qu’il a peut-être commis une autre erreur en jetant hors de sa propriété ces autres Revenants dont le comportement lui semblait être celui de “mauvais logeurs”: ce n’était peut-être pas tant leur faute que celle de cette part d’ombre en eux.

De plus en plus inquiet, Floyd finit par avouer à Wilhelmina, qui n’était pas présente lorsqu’il avait parlé à ses congénères, de la présence à Londres de deux fantômes forts violents. La jeune fille lui demande de décrire exactement ce qui s’est passé, et cela semble conforter une crainte que les premiers mots du mage avaient fait naître en elle. Malheureusement pour Floyd, selon les dires de Wilhelmina, il n’y a pas grand espoir pour ces deux âmes envahie par la haine et la colère: ceux que les Revenants appellent “Spectres” sont irrémédiablement perdus, émissaires d’un “Néant” dont la simple mention fait froid dans le dos.

Désormais bel et bien convaincu que tout est de sa faute et qu’il lui faut réparer son erreur, Floyd demande à sa nouvelle locataire s’il y aurait moyen pour lui d’agir. Quelque peu réticente au départ, Wilhelmina finit par acquiescer, et promet de revenir le voir bientôt; il lui faut pour le moment examiner cette affaire de son côté à elle du Linceul, et c’est là chose pour laquelle un vivant ne peut pas grand-chose. Sur ces paroles peu rassurantes, la Pardonneuse — même si Floyd ignore qu’on lui donne ce nom — quitte en toute hâte le manoir.

Les ennuis commencent

L’inquiétude de Floyd va croissant au cours des cinq jours qui viennent. Quelque chose le gêne, comme un souvenir lancinant sur lequel il n’arriverait pas à remettre la main, l’impression d’avoir oublié quelque chose d’extrêmement important. Wilhelmina ne reparaît pas, lui laissant craindre que peut-être quelque malheur lui est arrivé du côté de Brockwell Park, et l’état de Genevra ne s’améliore qu’à peine. En un peu plus d’une semaine, l’adolescente n’aura ouvert les yeux que trois fois, sans jamais reconnaître personne ni même sembler se soucier de savoir où elle se trouve, et ce n’est que de justesse que le médecin et Sonia, devenue garde-malade, parviennent à lui faire prendre quelque boisson et nourriture.

Qui plus est, dans les journaux que lui ramène Edward, Floyd découvre de nouveaux articles, dont le théâtre à tous semblent être le quartier environnant Dulwich Road: deux meurtres, l’un d’une mère, l’autre d’un bébé, et un suicide spectaculaire.(*) Il ne fait plus aucun doute que de tels faits ne sont pas l’oeuvre du hasard, et que quelque chose ou quelqu’un dans cette zone pousse tous ces gens à commettre des atrocités; cette théorie va en tout cas dans le sens de ce que lui a dit Wilhelmina, à savoir que ces Spectres ne s’en retourneront pas d’où ils viennent sans avoir tenté d’en entraîner d’autres dans leur chute.

(*) Je tiens à préciser que ces trois morts sont très fortement reprises d’articles imprimés dans le Illustrated Police News, l’un des plus anciens tabloïds britanniques, publié entre 1864 et 1938. (Et comme le disait le joueur de Charles: “A l’époque, le style d’écriture, c’était quand même autre chose”.)

Alliance:

L’absence de la jeune fille aux mains noires, elle aussi, le trouble de plus en plus, et le mage finit par ordonner à son cocher de préparer la berline. Alors qu’il finit de se changer, prêt à prendre la route, du bruit en provenance de l’étage supérieur, resté étrangement calme ces derniers jours, le pousse à aller voir ce qui se passe. Dans l’une des pièces, il découvre Victor, à genoux aux pieds de Wilhelmina, exprimant sa gratitude quant à ce qu’elle avait fait pour lui quelques nuits auparavant. Floyd est si soulagé de la voir de retour qu’il ne remarque pas tout d’abord qu’elle porte maintenant un plastron sombre par-dessus sa robe, et qu’elle tient à la main une longue rapière à la garde finement ouvragée, visiblement conçue pour un homme, au vu de sa taille.

Wilhelmina ne se montre pas très prolixe quant aux raisons de son absence prolongée, bien qu’elle laisse entendre qu’elle a eu maille à partir avec ce qui pourrait être qualifié de supérieurs hiérarchiques. D’après ce qu’elle a pu observer par elle-même, les nouvelles ne sont pas très encourageantes: le quartier où se trouve l’ancienne demeure des Morrow a été visiblement contaminé plus vite qu’elle ne le pensait par la présence des Spectres, et il est à craindre maintenant que de simplement les éliminer pourrait de fait aggraver la situation sur place, faisant naître en cet endroit une manifestation du Néant, plutôt que de l’en éliminer. Floyd, quelque peu découragé, ne sait trop que faire, mais les paroles de la jeune fille le réconfortent quelque peu, lorsqu’elle lui dit qu’il est possible que ces deux âmes en peine possèdent encore un lien ténu avec le monde des vivants, et que trancher celui-ci pourrait les contraindre à ne plus y revenir.

Redescendant au rez-de-chaussée, Floyd adresse quelques recommandations à Sonia, lui demandant de passer à la poste pour envoyer un télégramme à un collègue avec qui il avait rendez-vous le soir même et annuler ledit rendez-vous; la gouvernante promet d’emmener avec elle le petit James, qui pour l’instant s’occupe sagement avec quelques livres d’images dans la bibliothèque. Sur le palier, le jeune mage s’entretient quelques instants avec Grisham, qui lui assure qu’il peut lui confier la garde de la demeure. Puis, se munissant de la canne-Talisman héritée de son grand-père, Floyd emboîte le pas à Wilhelmina, et lui ouvre la porte afin qu’elle monte elle aussi dans la berline.

Le trajet se passe dans une relative tranquillité. De temps à autre, l’Euthanatos observe à la dérobée sa compagne, qui semble couver sa lame du regard avec une expression presque de tendresse. Mais lorsque le véhicule arrive en vue de la Tamise, Wilfried commence tout de même à se poser de sérieuses questions quant à la destination de son maître, qui jusque là ne lui donnait que de brèves instructions. Floyd lui demande de s’arrêter, et lui avoue qu’il désire de fait retourner à Brockwell Park. Le cocher s’élève tout d’abord contre cette décision, arguant du fait que même si Floyd a accidentellement contribué à l’apparition d’un “meurtrier” dans ce quartier (on ne peut tout de même pas lui dire qu’il s’agit là de Spectres…), c’est l’affaire de la police. Toutefois, le mage parvient finalement à le convaincre de ce qu’il restera prudent, et qu’il ne veut que chercher des informations là-bas, avant de repartir le plus vite possible. Wilfried préfère encore être là plutôt que de le voir s’en remettre à un quelconque cab, et c’est sur ces entrefaites que la berline reprend la route du sud.