La fin d’un monde

Au secours de Genevra

Avant de quitter le jardin de la propriété, emporté par son désir de sauver la jeune fille, Floyd s’entaille le poignet de son scalpel, sacrifiant une partie de son essence vitale dans un rituel ayant pour but d’appeler à leur aide les âmes de ceux que l’époux dément à sauvagement tués. Le rituel semble fonctionner bien, trop bien, même; alors qu’un brusque vent se lève, et que semblent résonner deux hurlements réclamant vengeance, tous partent à bord du fiacre de l’Euthanatos, précédés par un Stockwell à cheval qui ne leur accorde plus aucune attention. Contournant Brockwell Park, ils arrivent enfin à la demeure Woodrow, moins bien entretenue que celle qu’ils viennent de quitter, à la grille de laquelle ils trouvent l’étalon, mais pas son propriétaire. Sans plus attendre, les trois mages pénètrent dans le hall d’entrée obscur et désert. Bien vite, l’ouïe fine du Colonel ne manque pas de percevoir des pleurs d’enfant, en provenance du deuxième étage. Ils gravissent sans bruit l’escalier, pour arriver devant une chambre close, de laquelle émanent les pleurs, ainsi qu’une vois tremblante de jeune fille suppliant son père intraitable de l’épargner.

Floyd et le Colonel tentent d’enfoncer la porte, qui ne cède pas. En désespoir de cause, et renonçant à tout effet de surprise, le Colonel fait sauter la serrure d’une balle. Les deux mages ouvrent la porte au moment même où une bourrasque fait céder les volets et les battants de la fenêtre. Dans la chambre, recroquevillée au pied de son lit, se trouve une Genevra terrifiée en chemise de nuit, avec penchée au-dessus d’elle la silhouette d’un homme aux cheveux blancs, qui n’est nul autre que son père; les PJs n’auront compris que trop tard qu’il s’agissait bien de ce Peter Morrow dont Mr. Clock avait mentionné le nom. Les pleurs, quant à eux, proviennent de l’armoire, où Ed, profitant du face-à-face qui occupe “les adultes” pour se glisser près de la porte et tourner la clé, découvre un autre enfant enfermé (James, le petit frère de la jeune fille). Il parvient à le faire sortir de la pièce, mais c’est alors que le combat inévitable est sur le point de s’engager que d’autres phénomènes commencent à se produire.

Vengeance, vengeance, terrible vengeance

Sans qu’aucun des mages n’ait fait quoi que ce soit, une lampe vole soudain en direction du Maraudeur qui déjà levait la main pour frapper ses ennemis. Ce dernier ne l’évite que de justesse, heurtant le mur derrière lui, alors que d’autres objets commencent à voler. Floyd, réalisant maintenant que tout ceci est bien trop violent, se concentre sur sa vision spirituelle, et constate avec stupéfaction et crainte que ce qu’il a invoqué lors de son rituel ne ressemble pas vraiment à ce qu’il attendait: deux des victimes ont bien répondu à son appel, mais leur désir de vengeance et le choc de leur mort violente les avaient déjà dévorées… Floyd enjoint désespérément Genevra de s’échapper; lui et Ed doivent faire appel à toute leur persuasion afin de lui procurer le sursaut de volonté nécessaire pour surmonter sa terreur, et elle parvient alors à ramper en direction de la sortie, à la suite de son frère.

Peter Morrow se redresse; la Réalité répondant à son appel tourne son oeil vers les trois autres mages plutôt que vers lui. Sans doute fort heureusement pour le Colonel, Floyd et un Ed frappé de stupéfaction, la combinaison de phénomènes violents autour de lui — objets qui volent, doigts fantomatiques s’accrochant à lui, ainsi qu’un étrange nuage d’ombre venant s’attaquer à son visage — interrompent sa tentative de riposte. Floyd crie à ses compagnons de fuir eux aussi, à la suite de Genevra et de son frère qui ne les ont pas attendus; il ne sait pas ce qu’il a relâché là (après tout, c’est un mage encore relativement inexpérimenté  dans ce domaine…), mais il sent bien que rester dans les parages est une fort mauvaise idée. Pêle-mêle, le petit groupe se retrouve sur le perron, pour constater que la jeune fille manque à l’appel.

Le Colonel revient alors sur ses pas, tandis qu’au dernier étage, bris de verre et nouveaux hurlements se font entendre, humains et non humains. Il trouve Genevra dans la bibliothèque du premier étage, l’air absent, achevant de récupérer ce qui ressemble à un cahier relié dissimulé derrière une rangée de livres. Sans attendre — et d’autant plus que du sang commence à présent à couler le long du mur non loin de lui — il la saisit sous son bras, et retourne vers l’extérieur. Les trois mages ne sauront jamais ce qui s’est réellement passé au deuxième étage, dans la chambre ravagée, et cela vaut mieux pour eux. Une minute plus tard, l’explosion d’une fenêtre et le bruit d’un corps inerte tombant dans le jardin leur confirmeront qu’ils ont pris la bonne décision. Quant à Floyd, qui attendait le retour du Colonel, sa consternation face à ce qu’il a contribué à faire atteint son paroxysme. C’est lorsqu’il distingue une ombre dans l’herbe, non loin de lui, qu’il quitte à son tour la propriété.

Fuite et dénouement

Nos amis gagnent au pas de course le fiacre, où les attendent déjà Ed et le petit garçon ainsi qu’un Wilfried qui tentera plus tard de se convaincre que tout cela n’est pas vraiment arrivé. Floyd monte sur le siège à côté de son cocher, et lui ordonne de partir au triple galop; autant dire qu’il ne se fait pas prier. A l’intérieur du véhicule, Genevra en état de choc refuse de lâcher le cahier qu’elle serre convulsivement contre sa poitrine; sur ordre du médecin, Ed se saisit d’un flacon d’éther dans la sacoche, et en imbibe un mouchoir afin de l’endormir. Aucun d’eux ne sait encore ce que contient l’ouvrage, mais pensent qu’il vaudrait mieux qu’elle ne pose pas les yeux sur ce texte. Quant au petit James, il ne cesse de pleurer, se réfugiant finalement dans les bras de notre vendeur de journaux qui cache un coeur d’or derrière son attitude de bravade.

Laissant derrière eux la demeure aux vitres qui achèvent de toutes se briser et aux murs souillés, ils reprennent la direction du nord; Floyd, ne cessant de jeter de rapides coups d’oeil en arrière pour s’assurer que les esprits ne les suivent pas, aperçoit également un cavalier les suivre, deux rues plus loin, visiblement lui aussi dans le but de mettre de la distance entre lui et la maison. Bien qu’il se demande ce que lui a fait pendant ce temps-là (il faut avouer que c’était le cadet de leurs soucis, dans de telles circonstances), il n’a pas vraiment le temps de lui poser la question; lorsqu’il demande à Wilfried de faire une brève halte, il a tout juste le temps de se tourner vers Stockwell avant que ce dernier le saisisse par le col, apparemment assez courroucé en ce qui concerne la façon dont les choses ont tourné.

Les deux hommes s’affrontent un instant du regard. Avec une surprise mêlée de colère, Floyd réalise que c’est en fait l’ouvrage mentionné par Amelia que la créature aux allures de gentilhomme désirait avant tout. Dégoûté, l’Euthanatos accepte malgré tout de le lui laisser lorsqu’il constate que c’est pour le détruire qu’il le voulait, du moins selon ses dires. Peut-être était-ce sincère, peut-être pas; quoi qu’il en soit, Stockwell jure en retour que destruction il y aura. Depuis l’intérieur du fiacre, le Colonel confirme que ni lui-même, ni Ed, ni les enfants n’ont même ouvert le cahier, et consent à son tour à se débarrasser de l’ouvrage. C’est enfin sur quelques dernières paroles peu amiables que leurs chemins se séparent.

Dans les journaux du lendemain et des jours suivants, on parlera de la résolution de l’énigme et de l’arrestation d’un coupable. Bien évidemment, les noms des trois mages ne seront jamais mentionnés, et l’unique vérité derrière cette sombre histoire ne sera pas dévoilée au public. Quant à savoir ce que contenait l’ouvrage qui aurait à priori réussi à faire basculer deux Eveillés dans une irréversible folie, cette question devra attendre avant de trouver réponse…