Ada et Leslie
Deux femmes bien étranges
Le retour à Kingston se passe dans une atmosphère assez morose. Au relais, ils ordonnent à l’aubergiste de leur préparer des provisions, car ils vont repartir avec les deux femmes. Liam se rend tout d’abord seul dans la chambre, où une Leslie apeurée le braque de son arme lorsqu’il pousse la porte, avant de se calmer, soulagée de le voir. Tandis que Floyd reste à monter la garde dans le couloir, le Verbena se penche pour examiner Ada Wellesley ; celle-ci, bien plus réveillée qu’il ne le pensait, tire brusquement une lame qu’elle lui place sous la gorge. Heureusement, Leslie dissipe vite le malentendu. Ada se sent suffisamment remise pour se lever, et demande elle aussi immédiatement à quel corps appartiennent les trois hommes ; elle reste dubitative lorsque Charles affirme venir de celui de la « RCS », car elle sait très bien que cela n’existe pas. Elle emprunte les étranges lunettes de Leslie pour observer les trois mages, et confirme qu’ils sont pourtant bien du même bord ; visiblement inquiète (et très protectrice envers Leslie), elle demande s’ils « sont de Dresca ». Liam lui assure que ce n’est pas le cas, quoi que « Dresca » puisse être. Lorsqu’il dit être venu d’Irlande en 1865, Ada semble un peu rassurée : « C’est bon, l’Irlande n’a été dispersée qu’en 70. »
La conversation ayant lieu dans la chambre soulève malgré tout bien plus d’interrogations qu’elle n’en résout. A Charles, Ada dit que les Annihilateurs, au service du roi Charles VI Stuart, ont pour rôle d’éliminer les manifestations thanatiques. (Dans l’Angleterre dont elles prétendent venir, apparemment, ce sont les Royalistes qui ont gagné lors des Guerres Civiles…) Le lieutenant finit néanmoins par se fermer assez vite devant tant de questions, et demande ce qu’ils vont faire d’elles : les vendre à leurs ennemis ? Liam lui jure que non : la preuve, ils leur ont laissé leurs armes. Ils ne sont pas l’Ordre de la Raison, et n’agiront pas comme eux. Ils apprennent tout de même que les deux femmes sont arrivées grâce à ce qu’elles nomment « l’Echelle » (une sorte de projet scientifique) ; à Ada qui demande s’ils sont bien de l’autre côté du Voile, Liam répond que oui. « Au moins, nous aurons réussi cela, » dit-elle alors.
Pour le moment, les deux femmes acceptent de suivre les PJs à Londres, où elles seront en sécurité à Amberville Hall pour se remettre de leurs blessures. Récupérant ses armes qu’elle dissimule sous un drap, Ada s’appuie sur Liam pour quitter la chambre, remerciant Floyd au passage pour ses soins. Bien qu’il n’y ait pas encore beaucoup de monde dans l’auberge, l’aube se lève, et il faut déguerpir au plus vite avant que la couverture de Charles ne vole en éclats. Dehors, Ada marque un temps d’arrêt, comme l’a fait Leslie, devant le sol de terre battue ; puis, pour la première fois, une ombre de sourire songeur passe sur ses lèvres lorsqu’elle constate que cette terre est parfaitement inoffensive.
Réanimateurs, Dispersion et Histoire divergente
Dans la berline, Leslie, qui avait vu le corps la veille, demande où il est passé. Lorsque Floyd explique qu’il s’agissait d’une de leurs amies, maintenant mise en terre, la jeune fille demande si elle est encore là. Charles intervient pour dire à Floyd qu’elles semblent être des sortes de chasseurs de fantômes, ce qui met clairement Floyd mal à l’aise, plus encore lorsqu’Ada lui demande : « Vous êtes un Réanimateur, n’est-ce pas ? » Liam et Charles racontent alors rapidement à leur ami ce qui s’est dit dans la chambre. Ada ajoute que certains Réanimateurs ont fort mauvaise presse et sont pourchassés, mais si ce n’est pas son cas, il n’a pas de crainte à avoir. Elle dit aussi à Floyd que ce dont ils s’occupent, ce sont les entités thanatiques non fréquentables. C’est au tour de Floyd de les rassurer, car Miss Valentine ne reviendra pas, et n’aurait de toutes manières pas été une menace. Leslie confirme que la densité thanatique est beaucoup moins forte ici.
Au cours du voyage de retour, Charles revient sur cette histoire d’Echelle, mais Ada est liée par le secret et ne rentre pas dans les détails. Elle ne dit que le minimum : qu’il s’agissait d’ouvrir un passage à travers le Voile, fermé depuis des siècles, pour trouver… elle-même ne savait quoi exactement : une terre d’accueil, tout simplement. C’est pour cela qu’ils avaient emmené un Ingénieur si jeune avec eux, car c’était un dernier espoir pour les leurs. Leslie, elle-même et ses quatre hommes sont arrivés à la Tour de Londres, dans la Tour Blanche plus précisément, où ils ont immédiatement été attaqués par les gardes de faction (d’où cette pseudo-histoire de cambriolage, dit Charles). Elle ne sait pas exactement comment elles sont parvenues à s’échapper ; des perturbations d’ordre inconnu leur ont fourni une diversion qu’elles ont saisie au vol. Les PJs en tous cas se gagnent définitivement l’amitié de Wade lorsqu’ils lui offrent des sandwichs, qu’elle considère tout d’abord avec circonspection, puis engloutit voracement (c’est que leurs repas à la Tour de Londres n’ont pas dû être des plus roboratifs…).
Peu après, Ada, qui considérait Floyd d’un regard à nouveau songeur, lui demande s’il n’aurait pas un lien de parenté avec le Dr. Wolfram McAlexander, qui était un grand Réanimateur, mais à hélas disparu lors de troubles en Ecosse, qui ont par la suite mené à une « Dispersion ». Interrogée, elle ne peut vraiment expliquer, et pour cause : le phénomène de Dispersion est très mal connu. Des endroits disparaissent du monde, tout simplement, et pire encore, personne ne se souvient qu’ils aient jamais existé ; seuls les Eveillés comme elle parviennent à conserver une partie de ces souvenirs, et encore… Il ne reste chez elles que l’Europe ; les Indes ont disparu il y a longtemps, de même que les anciennes colonies (celles qui, du coup, ne sont jamais devenues les Etats-Unis d’Amérique). Ce qui remet en mémoire à Liam ce qu’il a entendu d’Ezekiel au sujet du Mangerêve ; mais ce nom ne dit rien à Ada. (Floyd craint tout de même que si ce qu’elles disent est vrai, peut-être ont-elles emmené un pan de leur réalité avec elles, et que ce qui cause les Dispersions les a suivies ?)
Passant devant Hyde Park, Ada, à une question de Charles, répond qu’il n’y a pas de parc chez eux : une telle étendue de terre présenterait trop de risques d’infection. A son tour, elle s’enquiert s’il y a des « Dévorantes », chez eux. Floyd en demande une description ; il se trouve qu’elles peuvent prendre des apparences différentes, mais commencent toujours par envahir le sol d’abord, plantant des graines, allant jusqu’à éclore dans les gens. Ada affirme toutefois que ni elle, ni Leslie n’en sont porteuses ; elles ont été examinées avant de partir.
Troublantes informations
Il est 8h du matin lorsque le petit équipage arrive à Amberville Hall, où un Edward Pennywinkle toujours aussi imperturbable demande à son maître s’il s’est bien amusé à l’opéra. Charles annonce qu’il a des invitées, et qu’il doit leur servir une collation dans le salon bleu, celui qui donne sur le jardin d’hiver. En entrant, les deux soldats regardent autour d’elles d’un air à la fois impressionné et méfiant (clairement, elles font un peu pouilleuses, dans ce décor). Ils sont tous rejoints au salon par Pearl et un Crumpet rentré par on ne sait où.
Leslie s’intéresse immédiatement au petit chien, la tenant à bout de bras tout d’abord, comme si elle ne savait pas trop comment la toucher. Une fois Pearl sur ses genoux, elle l’examine à l’air de ses goggles, et déclare qu’il s’agit bien d’un chien normal, mais « qui a servi d’ancre ». Floyd comprend très vite ce qu’elle a perçu : le lien avec son ancienne maîtresse, qu’il a lui-même brisé à Hyde Park une bonne semaine auparavant. Ada, elle, reste silencieuse et méfiante, avant de demander pourquoi, finalement, ils font tout cela pour elles — elles n’en avaient jamais attendu autant ! Liam dit que ça lui paraît juste tellement évident qu’elles ont besoin d’aide, qu’il trouve naturel de les aider.
Leslie, un peu plus loquace depuis que Charles a refait apporter des sandwichs (c’est que ça mange, à cet âge-là), essaie d’expliquer un peu plus en détails quelles étaient leurs intentions. Il semblerait selon elle que le vecteur d’approche — l’Echelle est en fait une machine nécessitant de savants calculs — n’était pas tout à fait exact, d’où leur malchance à l’atterrissage. Elles n’ont pas profité d’un trou dans le Voile, comme le pensait Floyd : elles ont foré un trou, car le Voile est bien trop solide pour se déchirer de lui-même. Il leur a fallu chercher un endroit cible, un peu comme un phare, pour avoir un point de repère « magyque » de l’autre côté ; il se trouve qu’à cause du Node, c’est la Tour de Londres du monde des PJs qui est devenue la cible. Ils ne savaient pas ce qui se trouvait de l’autre côté, car cela leur était inaccessible depuis plus de deux cents ans. Dans leur monde, on ne sait même plus qui exactement était capable de telles prouesses, jadis — quelques personnes, dans les anciennes colonies ? Les scientifiques du projet n’ont pas non plus choisi un moment particulier pour les faire traverser : il fallait le faire, c’était tout. Il y a eu d’autres sites avant cela, mais tous ont disparu avant complétion du projet, à cause des Dispersions. C’est leur dernier espoir… et la première fois que quelqu’un réussit à passer, dirait-on.
Hypothèses et appréhensions
Charles profite de la collation pour leur faire découvrir café, tabac et jus de mangue, ce qui ne manque pas d’impressionner surtout Leslie (Ada très certainement aussi, mais elle le montre beaucoup moins), qui ne connaît rien de cela. Les deux femmes suivent ensuite Edward, qui a fait préparer un bain et une chambre, et va aussi leur chercher un nécessaire de premiers soins pour Ada. Une fois seuls, Floyd expose ses craintes à ses amis : selon lui, il ne faut surtout pas que ces deux soldats réalisent ce qu’elles sont vraiment, le danger qu’elles représentent. Il est urgent et vital de les renvoyer chez elles avant que leur présence ne cause plus de troubles encore : c’est sans nul doute leur arrivée, dit-il, qui a provoqué toutes ces perturbations liées au Node et à Mélusine. A ce moment précis, sa voix se bloque : il réalise qu’il n’arrive pas à prononcer ce nom ou encore celui de « Vouivre ». Ni Liam, ni Charles ne le peuvent non plus. On dirait bien que les Hermétistes rencontrés trois jours plus tôt ont trouvé une utilisation magyque au sang avec lequel les trois hommes avaient signé le contrat…
Là n’est toutefois pas le problème majeur pour le moment. Ils reviennent au sujet. Ce projet « Echelle » a créé un trou, acte brutal et violent au demeurant, or Floyd et Liam savent très bien qu’il faut être prudent quand on traverse de telles frontières, notamment celle avec le monde des morts. A vrai dire, Floyd doute encore de la santé mentale des deux filles, se demandant si elles ne sont pas tout simplement des membres de la technocratie qui auraient fait des expériences un peu trop poussées dans le monde des défunts, justement. Ils n’ont plus qu’à espérer maintenant que puisqu’elles ont foré le trou, elles sauront aussi le refermer… avant qu’Amberville Hall ne soit repéré et placé sous surveillance. Floyd reste persuadé que les renvoyer chez elles réglera le problème en rééquilibrant la situation.
Charles est moyennement enchanté à cette idée : si elles disent vrai, leur monde apparaît comme fort réduit, voué à une mort certaine… et il ne veut décemment pas les renvoyer là-bas, sachant cela ! Mais que faire, puisque leur présence, apparemment, continue de causer des troubles qui inquiètent même l’Ordre d’Hermès — à qui il faut d’ordinaire beaucoup pour le faire réagir si rapidement ? Charles lance alors une idée folle mais très humanitaire : en admettant qu’il reste une partie de l’Europe, disons une centaine de millions de personnes au maximum, on pourrait les faire venir dans ce monde-ci pour les sauver ! Floyd bien sûr trouve cela stupide, d’autant plus que cela repose sur la théorie que ces deux filles disent effectivement vrai, et que ce ne sont pas des divagations. Charles l’écoute à peine, commençant déjà à envisager ce qui reste comme place en Australie, en Amérique, au Canada… assez de place, selon lui. Tout cela est tellement fou que Liam est d’accord avec Floyd ; de toutes façons, tôt ou tard, l’Ordre de la Raison irait vérifier cette affluence de personnes, et les éliminerait sans doute…
Autres problèmes : le risque de contamination, et aussi le risque que le Node échappe à tout contrôle si on agrandit encore le trou, causant ainsi la destruction de Londres toute entière. Le ton monte dangereusement entre les trois hommes. Charles argue du fait qu’on pourrait demander l’aide des Hermétistes ; mais selon Floyd, ils tortureraient et exécuteraient tout simplement les deux femmes, sans autre forme de procès.
Devant tant de tensions, et face à la colère qui monte et aux paroles qui dérapent, Liam suggère d’aller d’abord dormir. Floyd admet que Charles a malgré tout raison, que sa conscience lui dit de ne pas laisser mourir tous ces gens. Il va falloir continuer l’enquête. Peut-être y a-t-il des réponses à Waverley ? Charles décide alors de laisser les deux femmes chez lui, et de leur léguer ses biens, ainsi qu’à Floyd et Liam, si jamais il devait ne pas revenir !