Destruction onirique

Amberville Hall, côté face

Floyd et Liam restent dormir à Amberville Hall. Durant leur sommeil, Liam, bien décidé à prouver à Floyd que les deux femmes disent sans doute la vérité sur « leur » monde, veut se rendre avec son ami dans les rêves d’Ada et Leslie. Il se translate donc dans le pendant onirique de la demeure, fort psychédélique au demeurant, puisque tout dans sa chambre est violet, le ciel indigo, les angles quelque peu non euclidiens, le couloir tout en nuances de jaune, et la pièce où se trouve Floyd fermée par un rideau en tissu lamé doré. Le Verbena trouve d’ailleurs Floyd en train de dormir dans son propre rêve, ce qui le trouble ; cette fois encore, il doit expliquer à son ami qu’ils sont dans un songe, et que ce n’est pas le moment de se réveiller dans le monde physique. Floyd en tous cas a encore du mal à intégrer le fait qu’il peut aller se promener dans l’Oneiros sans pour autant perdre des heures de sommeil.

Les deux hommes errent quelque peu dans la demeure étrange, la chambre entièrement jaune de Floyd, l’escalier vert pomme dont chaque marche émet une note différente quand on pose le pied dessus… Floyd se demande bien quelle est la part de l’esprit de Charles dans cet endroit, et comment il « l’imprègne ». Ne sachant dans quelle pièce exactement dorment les deux femmes, Liam propose de partir de la salle de bain comme point de repère, puisqu’elles s’y trouvaient avant de se coucher, en toute logique. Floyd reste fort étonné de la certitude qu’a Liam : ne croit-il donc pas ces deux filles folles ? Lui-même, après tout, l’a été, et n’en est sorti que parce qu’il a eu la chance de rencontrer quelqu’un qui pensait le guérir autrement que par des électrochocs… Il pense que la psyché de Leslie en particulier est loin d’être stable. Liam n’est pas d’accord, et le ton commence à nouveau à monter.

Au rez-de-chaussée, Liam avise soudain une curieuse porte noire, qui tranche sévèrement avec le reste de la demeure ; il s’en dégage une impression de crainte mâtinée de respect qui l’intrigue. C’est visiblement une pièce où Charles n’a pas envie d’aller. Emporté par sa curiosité naturelle, Liam en crochète la serrure et, repoussant les objections de Floyd, ouvre la porte. Ils découvrent une étude sur le bureau de laquelle se trouve une grande statue noire représentant une femme aux bras multiples, le visage grimaçant de colère, dansant aux pieds d’un corps étendu qu’elle s’apprête à fouler. A ses crocs, ses bracelets et son allure, Floyd reconnaît là un avatar de mort de la déesse Kâli, dont le courroux, selon le mythe, n’a pu être calmé que lorsqu’elle a piétiné le cadavre de son époux. L’Euthanatos est prêt à parier que l’aura de la pièce provient directement de cette statue. Lorsqu’il s’en approche, il ressent la contradiction qui en émane : Charles craint de s’en approcher, mais il craint encore plus de s’en débarrasser. Le poids émotionnel attaché à cette chose est immense, comme si la sculpture se trouvait être en relief par rapport au reste de la pièce.

Les deux hommes se souviennent : Charles avait en effet mentionné que ses parents étaient jadis allés aux Indes. Ils se demandent tout de même quel est le rapport entre Charles et Kâli. Selon Floyd, elle participe d’un culte qui dévoie les pratiques de sa Tradition, et même lui n’y est pas lié. Kâli n’hésitait pas à massacrer des villages entiers par caprice (ce qui rappelle à Liam certaines divinités celtiques… dont Badb). Du coup, Liam lui-même est moins à l’aise, alors qu’il mentionne la trinité des déesses guerrières Morrigan, Badb et Macha. De plus, il lui semble soudain voir passer comme un vol de corbeau dans les ombres projetées par les chandelles…

Flammes et ténèbres

Tous deux quittent la pièce, mais non sans que Floyd ait pris soin de marquer le chambranle de son sang afin de pouvoir retrouver plus tard ce bureau dans la version tellurique d’Amberville Hall. En refermant la porte, Floyd croit entendre quelque chose murmuré en hindi, venant de l’intérieur, puis plus rien. Reprenant leur périple dans le couloir, ils arrivent enfin à une porte bleue : celle de la salle de bains. Floyd qui touche le mur a la surprise de voir sa main y créer des ronds concentriques. Liam, lui, s’assied sur le sol et se concentre pour retrouver la trace des deux femmes. Des traces d’eau apparaissent alors, de celles qu’auraient laissé des pieds mouillés. Ils suivent alors cette piste jusqu’à un nouvel escalier (qui chuinte), puis à une porte rouge, au premier étage, de la même couleur que les uniformes d’Ada et Leslie. Liam essaie de l’ouvrir, mais elle lui oppose une résistance, exactement comme si quelqu’un, de l’autre côté, avait placé une chaise sous la poignée pour la bloquer. Floyd lui demande s’il est vraiment certain de vouloir faire cela ; qu’elles soient folles ou non, finalement, leur souffrance est bien réelle, inutile de chercher en plus à violer leurs esprits…

Liam essaie tout de même, tout doucement, et parvient à faire bouger la porte. Dedans, la chambre est entièrement rouge elle aussi ; au dessus du lit flottent deux flammes entrelacées, la plus grande, rouge, protégeant la plus petite, bleue. Liam pense que ce sont les manifestations oniriques des deux soldats ; mais étrangement, leur présence paraît affadie, pas assez palpable, contrairement à celle des dormeurs normaux.

Floyd, ne ressentant pas vraiment de présence humaine ici, tend la main pour toucher la flamme rouge, et Liam ne réagit pas assez vite pour l’en empêcher. Le décor bascule alors, et ils se retrouvent dans ce qui pourrait être une vision nocturne de Londres, entourés de bâtiments étranges, comme si on leur avait rajouté des étages. Derrière eux se tient une troupe d’hommes en uniformes rouges, genou à terre et fusil à l’épaule, tenant en joue une masse grouillante juste en face. Entre eux et cette chose noire se dresse une silhouette, celle d’un homme de haute taille, qui tourne le dos à Liam et Floyd. Les deux mages se précipitent dans une ruelle adjacente pour observer. La silhouette baisse le bras pour donner l’ordre de tirer ; les balles fusent sans la toucher, allant s’écraser dans la masse mouvante. Celle-ci néanmoins ne diminue pas.

Dans la ruelle, Floyd est en proie à une quinte de toux, frappé par la très forte sensation de corruption qui baigne cette scène. Liam veut regarder encore un peu ; la masse grouillante, faite comme de centaines de serpents, est en train de bouger. Le Verbena vide alors sa flasque de whisky au sol pour créer une flaque, et donc un passage. Alors qu’il effectue ce geste, il entend l’homme murmurer quelque chose en gaélique ; un genou en terre, son épée plantée dans le sol, l’inconnu s’entaille la paume de la main sur la lame, et Liam comprend quelques mots de ce qu’il dit : « Retourne au Néant. » Le sang répandu sur le sol commence à dessiner un symbole que Liam finit par reconnaître : le même que celui qui liait Storn à Mélusine. Effrayé et par cela, et par le fait que Floyd tousse maintenant du sang, Liam entraîne alors son ami hors de ce rêve… qui ressemble plus à un souvenir, en fait.

De retour dans la chambre rouge, Floyd demande ce qui s’est passé (un passage brutal entre deux rêves, répond Liam). Il a la certitude que s’ils étaient restés là, ils seraient morts : le sortilège lancé par l’homme à l’épée était assez puissant pour que même son ombre onirique puisse les tuer. Il a également de plus en plus l’impression qu’il s’agissait là d’Entropie, mais une Entropie corrompue, dotée d’un aspect curieux qui lui laissait une sensation de vide, de rien. Enfin, cette phrase de « retourne au Néant » lui rappelle les écrits des Woodrow… Il ne peut toujours pas jurer de la santé mentale des deux femmes, mais est maintenant convaincu qu’il faut absolument les renvoyer chez elles. « Vous voulez les renvoyer à cela ? » s’écrire Liam, et tous deux commencent à se disputer à ce propos. Floyd argue du fait que si elles viennent vraiment d’un autre monde, alors elles ont transgressé les règles de la Réalité d’une manière encore pire qu’eux-mêmes lorsqu’ils pratiquent leur magye. « Vous ne faites pas la différence, Oakley, c’est bien pour cela que votre ordre a subi la loi du feu jadis, car ils n’ont pas su quand s’arrêter » : ces paroles blessent tout particulièrement Liam, d’autant plus que Floyd affirme que si le seul moyen de rétablir la situation à Londres est de tuer ces filles, il le fera, même si pas de gaieté de cœur. Liam finit par vraiment se fâcher et quitter la pièce, dans un bruissement inquiétant d’ailes de corbeau.

Floyd reste seul avec les flammes. A présent que Liam n’est plus là, il adopte une position qui révèle que lui aussi, finalement, chercher désespérément une autre solution que celle qu’il a mentionnée. Un long moment se passe. Pendant ce temps, Liam, monté sur le toit pour se calmer, ressent soudain une vibration étrange. Levant les yeux au ciel, il constate que la lune, de violette, est devenue rouge sang… D’un bond, il se relève et se hâte de retourner au premier étage pour prévenir Floyd qu’un phénomène de très mauvais augure est en train de se produire dans cette poche de rêve-ci. Il entraîne un Floyd très surpris vers la salle de bain pour en utiliser l’eau comme passage. La baignoire est d’ailleurs en train de déborder. Liam y plonge avec Floyd, et tous deux changent brutalement de rêve.

A la dérive

Trop tard, Liam se rend compte de son erreur : ils sont en train de couler dans une mer sans fin, et Floyd, qui a la phobie des étendues d’eau, est en train de suffoquer. Liam ne parvient pas à convaincre son ami que c’est un rêve et qu’il peut respirer dans l’eau s’il le désire ; pire encore, dans ce rêve, remonter à la surface signifie en fait se diriger vers le fond, ce qui va à l’encontre de la logique de Floyd, Floyd qui pour couronner le tout ne sait pas nager. Liam ne cherche plus à discuter et tire son ami vers le fond, cherchant le courant pour mieux se faire pousser ; derrière lui, Floyd est devenu un poids mort, son esprit réellement persuadé qu’il est en train de se noyer.

Lorsqu’enfin leurs têtes crèvent la surface, Floyd est inconscient. Liam manipule le tissu onirique pour faire apparaître un radeau où il se hisse avec son compagnon. Il secoue ensuite Floyd pour le réveiller, l’exhortant à ne pas se laisser mourir, et là, surprise : Floyd ouvre des yeux exorbités et, d’un geste vif, saisit Liam à la gorge, l’air mauvais. Liam a beau se débattre, l’Euthanatos ne lâche pas prise, et commence même à serrer. Sa voix lorsqu’il ouvre la bouche n’est pas vraiment la sienne. Il ne gronde que deux mots : « Ton nom ! ». Liam, qui suffoque, finit par cracher Liam Oakley, nom que Floyd répète une fois, avant de sombrer à nouveau dans l’inconscience. Stupéfait, Liam le rallonge, ne parvenant plus cette fois à le réveiller. Il remarque alors qu’autour du radeau, emportées par un courant contraire, flottent des feuilles de papier dont les inscriptions délavées, aux trois quarts illisibles, ne lui permet que de supposer qu’il s’agit là du dossier médical de Floyd à Bedlam… le vrai, cette fois.

Encore sous le choc, Liam s’allonge à son tour sur le radeau, contemplant le ciel d’où tombent très lentement des pierres de tailles variées, comme des morceaux qu’on aurait arrachés à un rocher encore plus gros ; aussi lentement qu’elles tombent, ces roches touchent la surface de l’eau pour s’y enfoncer graduellement. Après un moment passés à dériver, Liam aperçoit enfin un étrange miroitement à l’horizon, et saisit la rame pour se diriger vers cette lumière, tout en continuant de parler à Floyd. Peu à peu, Liam croit distinguer quelque chose qui pourrait être un ciel orangé derrière la trouée miroitante, comme un passage vers un autre rêve. Il sent alors quelque chose d’humide s’écraser sur sa tête ; lorsqu’il se tâte le cuir chevelu, il retire sa main pleine de sang frais. Pris d’un horrible pressentiment, le jeune Verbena lève les yeux pour contempler les rochers qui achèvent de se désagréger, tels une coquille, laissant la place à la Lune Sanglante…

Liam accélère, pestant en gaélique contre tout, contre le fait qu’il n’a que des ennuis depuis qu’il a rencontré Floyd… Le courant s’est accéléré maintenant, les rapprochant de la trouée que Liam tente d’atteindre le plus vite possible, le regard rivé sur le ciel se trouvant de l’autre côté, dans lequel s’étirent de longs nuages effilochés. Et soudain, il traverse la bulle, peut-être un peu trop facilement à son goût. Le radeau vient s’échouer sur un rocher plat, brusquement ; le choc réveille Floyd, qui ouvre les yeux sur ces mêmes nuages qu’il perçoit soudain comme étant en fait de longues failles. Paniqué, il fait signe à Liam, qui, tout à son soulagement de le voir revenir à lui, avait baissé la tête.

Un monde s’effondre

Les deux hommes se trouvent à présent sur un petit morceau de terre herbu à la dérive, qui semble lui aussi arraché à une montagne, comme l’étaient les rochers du rêve précédent. En dessous d’eux, il n’y a que le vide. Liam résumé rapidement à un Floyd fort perturbé tout ce qui s’est passé depuis sa « noyade ». Ici aussi, du sang tombe sur eux en lourdes gouttes, provenant des failles célestes ; rien qu’à les regarder, Floyd est déjà saisi de vertige — une sensation qu’il lui semble connaître, entropie et corruption, mais aussi autre chose, ou plutôt, l’absence de quelque chose. Liam essore ses cheveux, en récupérant le sang pour l’utiliser et trancher une nouvelle porte dans ce rêve qui lui aussi est en train de se désagréger ; néanmoins, au deuxième coup, quelque chose bloque la lame de son couteau, une résistance si forte qu’elle la brise même. Etonné, il se rend alors compte que cette bulle-ci est soumise à un motif, et que tous les morceaux de terre autour d’eux dérivent vers un même point central : un autre îlot, sur lequel se tient une silhouette immobile.

Alors que leur rocher est lui aussi attiré par cet endroit, les deux mages commencent à distinguer plus de détails : la silhouette est en fait une statue dressée qui leur tourne le dos (il s’agit de celle qu’avait déjà vu Charles, dans la Plaine des Vents). Face à elle, à genoux à même le sol, une personne encapuchonnée s’agrippe à un long bâton. Curieusement, le sang n’atteint pas cet endroit. Aidant Floyd à se lever, tout en lui présentant de rapides excuses pour l’avoir entraîné là-dedans, Liam s’élance sur cette petite île, car ils sont maintenant à tout juste une enjambée. Floyd le suit. Bien leur en a pris, car à peine ont-il quitté leur nouveau radeau de terre que celui-ci achève de se déliter et chute dans le vide.

S’avançant vers la silhouette à genoux, Liam se rend compte qu’il s’agit d’Ezekiel, mais un Ezekiel épuisé, qui peine même à le reconnaître. Floyd ne peut s’empêcher de remarquer à son tour la ressemblance frappante existant entre cet homme et Aidan Stockwell. Parvenant enfin à rassembler ses esprits, Ezekiel explique qu’il tente de maintenir la cohérence de ce rêve — en fait, ce sont ses efforts qui ont contré l’action de Liam — mais il est évident qu’il n’y parvient plus. Liam lui offre son aide, sachant toutefois que c’est peine perdue. Et pourtant, Ezekiel refuse d’abandonner, affirmant d’une voix entrecoupé de sanglots que si le Mangerêve a ciblé cet endroit maintenant, c’est de sa faute, et qu’il lui faut réparer son erreur.

Floyd l’encourage alors à ne pas se laisser aller et à survivre — Genevra a besoin de lui, car lui-même ne peut que la protéger dans le monde physique. Rebondissant sur cet argument, Liam parvient enfin à convaincre Ezekiel qu’il faut partir, que peut-être la jeune fille pourrait justement reconstruire cet endroit, et qu’il doit donc revenir pour veiller sur elle. Tous deux tendent la main pour aider le frêle jeune homme à se redresser, distinguant au passage qu’il porte également des tatouages bleus sur les avant-bras, en motifs que Liam reconnaît pour être d’obédience celtique. Un changement vient de s’opérer dans le rêve, dont les pans chutent à présent les uns après les autres dans le vide, plus rapidement qu’avant. Dans un dernier effort, Ezekiel titube vers la statue pour littéralement arracher la partition de pierre qu’elle tient entre ses bras, murmurant « Désolé, grand-mère » (Floyd parvient à en distinguer le titre : Betrayer). Il faut que les deux mages viennent à nouveau le tirer par le bras pour qu’il les suive, perdu dans ses pensées, ne cessant de marmonner quelque chose ressemblant fort à « qu’est-ce que je vais bien pouvoir lui dire ? »

Refuge de fortune

Liam modèle la substance onirique pour créer une nouvelle lame et tailler une porte dans la bulle. Ne désirant pas se rendre au Viaduc, au dessus duquel flottait également la Lune Rouge, il décide que le passage donnera sur un de ses rêves. Moitié soutenu, moitié traîné par les deux mages, Ezekiel finit par passer avec eux dans un paysage plus calme. Floyd se retourne une dernière fois pour contempler la bulle qui s’effondre brutalement, maintenant que celui qui la maintenait l’a quittée, et lire l’inscription restant sur le socle de la statue ; puis la trouée se referme, les laissant dans un rêve qui représente en fait le jardin du presbytère de la petite église de Letter Keen, le hameau irlandais où vivait Liam enfant. Une légère odeur d’humus et de compost flotte sous le ciel bleu de ce rêve un peu poussiéreux, pas fréquenté depuis un certain temps. Dans le dos des trois hommes se dresse une vieille église romane, à peine plus grande qu’une chapelle, ainsi qu’un petit cimetière.

A part rentrer chez eux, maintenant, Liam et Floyd ne voient plus trop quoi faire. Liam va vers Ezekiel, qui est à nouveau tombé à genoux, et lui explique qu’il l’a amené dans l’un de ses rêves à lui. Floyd en est fort surpris : n’est-ce pas un peu dangereux ? Liam hausse les épaules — c’est un rêve auquel il ne tien pas trop, qu’il peut se permettre de perdre. « Cela fait toujours mal, malgré tout », murmure Ezekiel. « Je le sais, j’en ai perdu plus d’un… Mais au moins, j’aurai sauvé ça », ajoute-t-il en désignant la partition. Il ne pense pas que ce rêve soit en danger dans l’immédiat, en tous cas… mais peut-on vraiment faire confiance aux dires de cet homme épuisé, égaré entre rire et larmes sur sa partition, et très clairement encore en état de choc ? Floyd lui suggère de le mettre dans un autre rêve, ce que Liam refuse ; tant qu’à sacrifier un rêve, autant que ce soit le sien, et sa responsabilité.

Les deux mages tentent de tirer un peu plus de choses d’Ezekiel, et lui parlent du Mangerêve. Pour Ezekiel, impossible de s’en débarrasser seul — il a déjà essayé, et comme ils peuvent le constater, il a échoué. Liam suggère alors de s’y mettre à plusieurs, et offre son aide. Ezekiel est complètement dérouté ; non seulement il ne comprend pas pourquoi quiconque voudrait s’attirer de tels ennuis, mais de plus, il craint de continuer à échouer, comme cela a tant de fois été le cas, et d’entraîner Liam dans sa chute. (Floyd, lui, s’est éloigné de quelques pas, et ne dit plus rien, leur tournant le dos, l’air songeur.)

« Si vous échouez, c’est parce que vous êtes seul », rétorque le Verbena. « Et puis ce n’est pas en vous tuant à la tâche que vous y arriverez, de toutes manières.
— C’est étrange, c’est ce qu’elle me dit souvent
, murmure Ezekiel.
— Elle ?
— Dio,
dit-il, répétant ce nom comme si c’était quelque chose d’évident.
— Dans ce cas, vous devriez l’écouter. »

Liam parle encore un peu avec lui. Ezekiel ne sait pas d’où vient ce nom de Mangerêve, même si c’est lui qui l’a dit à Liam en premier. Peut-être des rêves du Train du Silence, « le seul train que j’ai jamais vu » ? Au fil de leur échange, Liam parvient à lui faire révéler où il demeure : dans un endroit appelé « Waldridge » (« Quelque part dans le nord, non loin de l’Ecosse », ajoute soudain Floyd). Immédiatement après, Ezekiel semble le regretter, les suppliant de « ne pas leur faire de mal — on leur fait toujours du mal, cela a toujours été ainsi ». Il se demande bien d’ailleurs aussi pourquoi il a croisé la route de Genevra. Si c’est là sa tâche, son destin, comme semble le penser Floyd, alors le destin est bien cruel…

Floyd lui parle alors de Waverley (à ces mots, un éclat apeuré traverse le regard d’Ezekiel), puis d’Aidan Stockwell, ce qui provoque là un toute autre réaction… puisqu’Ezekiel demande alors avec le plus grand naturel s’il va bien. Floyd propose enfin de le ramener à Waldridge, ce qu’il refuse : « On ne peut pas aller là-bas, car il y a Dresca. Seul moi peux y aller. » Ce nom éveille des souvenirs en Floyd et Liam : le Lieutenant Ada Wellesley l’avait également mentionné. Ils comprennent que tout est lié, et d’une bien sinistre façon, leur semble-t-il…

C’est sur cette note sinistre qu’ils finissent par prendre congé d’Ezekiel, qui remercie Liam de son hospitalité dans cet endroit « beau, mais triste et seul », espérant un jour pouvoir lui rendre la pareille. Enfin, Liam pousse la porte de la sacristie… et les deux mages quittent l’Oneiros pour se réveiller dans le monde physique.