Can we play with madness?

Une demi-heure en ballon

Le trio part pour Regent’s Park. Une fois à bonne distance de Lincoln’s Inn Fields, Liam parle de Mélusine à Floyd, et de ce que quelque chose est en train d’attaquer son lien avec Storn. Hélas, ses deux amis ne semblent pas réaliser l’importance de cette découverte, ni qui est vraiment Mélusine… Charles prend même cela à la légère, suggérant de partir pour Paris si d’aventure les choses venaient à tourner mal à Londres. La discussion se fait quelque peu tendue, mais l’arrivée de l’équipage au parc leur remet autre chose en tête: le ballon est en train d’être gonflé, sous les ordres de McDonnell, et une foule de badauds s’est déjà massée derrière les barrières de bois dressées pour tenir le public à l’écart. Quelques bobbies patrouillent tout autour, veillant à ce que personne n’essaye de s’approcher. McDonnell vient saluer ses futurs passagers, les rassurant sur la présence de la police: celle-ci a bien essayé de l’inquiéter, mais il était muni d’une autorisation en bonne et due forme, obtenue grâce à Falton, l’un de ses amis au ministère. Tout en continuant de donner des instructions à ses assistants, Douglas explique rapidement le fonctionnement du ballon et la façon dont va se dérouler le vol… en théorie, du moins.

Pendant toute la conversation, Floyd se montre très distrait; il en vient même à confier son sac de voyage à Grisham, ce qui étonne bien sûr ses amis qui, eux, ne voient rien… sauf le sac tombant à terre après un très léger temps de suspension. Liam ne perçoit qu’une infime vibration derrière l’Euthanatos. Face au ballon, le bel optimisme se lézarde quelque peu: c’est que ni la toile (frappée du blason de la RCS), ni la nacelle n’ont l’air bien solide. Floyd demande si elle tiendra bon pour cinq personnes — et Charles de lui faire remarquer qu’ils ne sont que quatre. McDonnell fait circuler des sandwichs et une thermos, en proposant même joyeusement aux bobbies de faction; Crumpet, lui, n’hésite pas un seul instant à voler un sandwich au nez de tous, puis à aller larguer une fiente sur le ballon. Dans la foule, un certain nombre de personnes tiennent des paris sur la viabilité du ballon et sur ses probabilités de décollage.

La nuit est maintenant presque tombée, et l’heure du départ approche. Floyd s’entretient encore un instant avec Grisham, se remémorant que c’est ici, après tout, qu’ils se sont retrouvés. Tous prennent place dans la nacelle, embarquant sandwichs, thé, cordes et échelle de corde. Le moment venu, Douglas donne l’ordre à ses assistants de lâcher les cordes qui retenaient encore l’aérostat, et ce dernier commence alors à s’élever dans les airs, sous les “ooohs” admiratifs de la foule — et les grommellements des parieurs déçus. De là où ils sont, les trois mages aperçoivent des membres de la RCS se précipiter déjà vers leurs voitures afin de gagner Southwark pour la garden-party; le président Darlington lui-même devrait normalement y être, lui aussi. La nacelle est toutefois fort brutalement ballotée par le vent; Liam est pris de nausées, quant à Charles, bien vert, il ne peut se retenir de vomir (sans doute sur Crumpet, d’ailleurs, car un croassement fâché s’élève alors), et la tape que McDonnell lui donne dans le dos achève de le faire rendre son déjeuner. Floyd, lui, se contente de fixer le ciel, faisant observer, l’air absent, que le vent est plus fort que prévu et qu’ils sont en train de dévier. Et en effet, un souffle plus puissant que les autres fait brutalement pencher la nacelle, forçant tout le monde à bien s’agripper aux cordages. Sous leurs pieds, les becs-de-gaz ne sont déjà plus que de petits points lumineux.

McDonnell semble quelque peu impressionné par les dires de Floyd, qui lui assure pourtant que c’est la première fois qu’il voyage en ballon. L’aérostat arrive maintenant au niveau de la Tamise, comme en atteste la puanteur qui s’élève dans l’air, et ils peuvent apercevoir, sur leur droite, les lumières des Chambres du Parlement. Douglas les avertit de s’accrocher à nouveau, et lui-même manque perdre l’équilibre, rattrapé de justesse par Floyd. A peine ont-ils eu le temps de se remettre qu’ils voient approcher à grande vitesse la cheminée de l’usine Marsham, et tous de se précipiter à bâbord dans l’espoir de faire pencher le ballon, tandis que McDonnell lâche du lest. Il ne le sait pas, mais Floyd leur est venu en aide, manipulant les probabilités d’un courant ascendant capable de les éloigner de la masse de briques. Ils ne peuvent toutefois éviter les fumées et la suie qui se dépose sur la toile et sur leurs vêtements.

Alors que se profile la silhouette massive de la Tour de Londres, Charles se saisit de la longue-vue de l’aérostatier et observe la forteresse, autour de laquelle il croit distinguer de très légers courants lumineux. McDonnell lui-même fronce les sourcils un court instant, et Floyd de le persuader que ce n’était rien d’autre qu’un reflet de lune… Bientôt, néanmoins, les flon-flons de l’orchestre se font entendre, portés par la bise nocturne; Floyd aperçoit les lumières de la coupole du Bethlem Hospital. Il se saisit du grappin et de la corde et passe les bonbonnes à Liam, tandis que Charles se charge de tirer la fusée éclairante qui annoncera aux membres de la RCS l’arrivée du ballon, et par là même la réussite du défi. En dessous, les grilles du parc sont effectivement ouvertes, des gens essaient d’y pénétrer, retenus avec peine par des policiers et des infirmiers. Plusieurs médecins exigent de savoir ce qui se passe, s’adressant aussi bien à la foule qu’aux bobbies. Prosaïquement, McDonnell annonce aux trois jeunes gens qu’ils ont environ dix secondes pour descendre, après quoi le vent achèvera de faire dériver le ballon.

Infiltration

Floyd fait tournoyer le grappin et parvient à l’accrocher à une moulure de la coupole. Ce faisant, il perd l’équilibre et, emporté par son élan, passe par-dessus bord, se retenant in extremis à la corde maintenant tendue, tandis que Liam le rattrappe par un pied, tenant bonbonnes et masques dans l’autre main. Douglas lance l’échelle, et tous trois finissent par descendre sur la coupole — ou plutôt, tombent sur la coupole, dans le cas de Floyd. Le vent entraîne déjà l’aérostat, et McDonnell se prépare au choc lorsque les PJs couperont la corde, ce que fait Liam à coup de canne-épée. Et alors que l’orchestre continue de jouer et que des renforts de la police sont en route, les mages contournent la coupole pour pénétrer par l’arrière dans le bâtiment, menés par Floyd qui est le seul à connaître les lieux. Tout en forçant l’une des fenêtres à guillotine, l’Euthanatos les prévient qu’ils descendront par la laverie, tâchant d’ignorer le cri perçant qui retentit soudain en contrebas. Charles, lui, dérape, et se retient… à la ceinture du pantalon de Liam. Tant bien que mal, ils parviennent enfin à se laisser tomber à l’intérieur de la coupole, découvrant une salle d’observation meublée de fauteuils et canapés: “Un endroit où les médecins peuvent parader et exhiber leurs succès, ceux qu’ils ne cachent pas dans les cellules du sous-sol.” Alors que Floyd prononce ces mots, Liam a le sentiment que quelque chose cloche dans son habit, mais il ne saurait dire quoi…

L’Euthanatos informe ses compagnons qu’il va falloir trouver en priorité l’une des salles de garde, afin de récupérer un trousseau de clés. Leurs cannes-épées en main, prenant garde de n’allumer aucune lumière ni leur lanterne, ils entreprennent de descendre vers le deuxième étage. Charles jette au passage un coup d’oeil par une fenêtre: dehors, la police est en train d’appréhender un joueur de tuba, l’intendance proteste à grands cris de tout ce charivari, et quelqu’un, sans doute un médecin, demande où diable est passé le portier, et pourquoi il a laissé les grilles ouvertes. Les trois jeunes gens estiment avoir au grand maximum une trentaine de minutes pour trouver ce qu’ils cherchent et ressortir. Dans sa hâte à descendre l’escalier, Charles fait grincer une latte, attirant l’attention de l’infirmier au pas rapide et inquiet qui fait en ce moment même sa ronde au deuxième étage. Fort heureusement, ils restent immobiles dans la pénombre de l’escalier et parviennent ainsi à ne pas se faire repérer. Lorsque l’infirmier passe enfin à leur hauteur, la halo de lumière émanant de sa lampe ne les atteint pas, et ils attendent qu’il se soit éloigné pour gagner le palier de l’étage inférieur.

Face à eux se trouve une rangée de fenêtres à larges barreaux donnant sur l’avant de l’hôpital; de l’autre côté du couloir, toute une série de portes — les chambres des hommes internés ici. De l’une de ces chambres s’élève la voix de l’un d’eux, qui chante doucement. Floyd s’engage sur le palier, et Liam comprend alors ce qui n’allait pas: c’est sa veste, posée sur ses épaules, désormais faite de lin blanc, avec d’étranges attaches aux manches: une camisole de force. Le Verbena ne sait absolument pas quand il l’a mise, mais il n’a pas trop le temps de se poser des questions, car les trois hommes arrivent finalement au premier étage, non loin de la double-porte à petites fenêtres des quartiers abritant la salle de consultation et les bureaux des médecins, pour le moment inoccupés. Ils parviennent une fois encore à se dissimuler aux yeux d’un infirmier faisant sa ronde; celui-ci parti, c’est en silence que Floyd se glisse jusqu’à la porte… qui, ô “coïncidence”, n’est pas verrouillée. Le jeune Euthanatos semble de moins en moins être lui-même, entre ces murs blafards et ces plafonds où la peinture s’écaille. Qui plus est, alors qu’ils avaient tous trois convenus de ne pas pratiquer la Magye en ces lieux, Floyd n’a pas vraiment conscience que c’est ce qu’il vient de faire: au lieu de cela, il remercie “Grisham”…

Dans le bureau des médecins

A l’intérieur, à la lueur du clair de lune et des lampes brandies dans la cour par les policiers, le personnel et les invités-surprise toujours présents, nos amis distinguent, noyées dans la pénombre, des fauteuils, une large table de travail et de hautes bibliothèques aux portes vitrées, fermées à clé, contenant d’innombrables volumes médicaux. Floyd demande à Liam d’aller déverrouiller la porte qui se trouve de l’autre côté de la pièce, et mène au bureau où sont conservés les dossiers des patients, chose dont le Verbena s’acquitte avec brio. Pendant ce temps, Charles fait le guet et vérifie ce qui se passe à l’extérieur: une belle échauffourée, qui risque fort de tourner au vinaigre. Floyd, lui, s’étonne vaguement de ce qu’il n’y avait personne dans le bureau, mais se dit que les médecins sont sans doute descendus voir ce qui se passe. Il rejoint Liam dans la pièce attenante, constatant par là même que le jeune homme est déjà en train de fouiller les meubles, et semble savoir très exactement comment fouiller efficacement; il repère d’ailleurs très vite les tiroirs de noms commençant par “A”. Néanmoins, là encore, Floyd, après avoir à son tour entrepris de fouiner un peu, s’étonne à nouveau: tout est vraiment très calme, trop calme; où sont les internes, le personnel, les cuisiniers qui devraient au moins être à l’oeuvre, vu l’heure, et se faire entendre?

Le temps presse, leur semble-t-il. Tandis que Floyd récupère le dossier qu’il visait, celui d’une certaine Sophie Richmond, Liam repère celui de “Floyd Alexander”, et, saisi de curiosité maladive, ne peut s’empêcher de l’empocher, le dissimulant rapidement dans son pantalon et sous sa chemise. A ce moment, Charles les prévient que quelqu’un arrive: il a entendu deux hommes parler et marcher dans le couloir. Tous trois se dissimulent dans la pièce des dossiers, Liam parvenant à refermer la porte à clé, juste avant que deux médecins ne pénètrent dans la salle de consultation. Ceux-ci discutent de la situation, de ce que le portier aurait reçu un pot-de-vin, avant de disparaître dans la nature. Floyd, usant là encore de magye entropique sans vraiment s’en rendre compte, demande à Grisham de casser une vitre à l’étage pour faire diversion; “coïncidentalement”, à ce moment, quelqu’un dans le jardin lance une pierre, et ceci attire l’attention de l’un des médecins, qui va voir… mais pas le deuxième. Les trois mages restent donc là, leur retraite coupée, et Floyd suggère de passer à l’action et d’endormir cet homme, car ils ne peuvent se permettre de perdre plus de temps.

Dans la pénombre, Liam perçoit qu’un nouveau changement s’est opéré en Floyd, bien qu’il ne puisse discerner lequel. Sur un signe de l’Euthanatos, il déverrouille à nouveau discrètement la porte, et Charles frappe un coup bref sur le panneau de bois. Immédiatement, le médecin se lève, surpris, et s’approche lentement, demandant d’une voix légèrement hésitante qui est là. Au moment où il arrive, Charles et Liam ouvrent brusquement la porte, et Floyd le saisit par le bras pour l’attirer à l’intérieur: “Bonsoir, Victor… et bonne nuit”, dit-il en pulvérisant une bonne dose de narcotique sous son nez. Surpris, le médecin ne peut réagir à temps, et s’effondre, endormi. Dans ses poches, Liam découvre une flasque à whisky, un carnet de notes et un trousseau de clés. Lorsqu’ils dissimulent l’homme endormi dans la pièce des dossiers, la lumière provenant du bureau tombe un instant sur Floyd, permettant à ses deux compagnons de remarquer que toute la partie gauche de son visage est maintenant couverte de bleus, de stries et de veinules, comme des stigmates qui réapparaissent peu à peu. Mais à Charles qui s’inquiète, Floyd se contente de répondre vaguement qu’il a juste “un peu mal à la tête”.

Quoi qu’il en soit, l’Euthanatos a en main le dossier qu’il cherchait: celui d’une patiente, Sophie Richmond, admise en même temps que lui, et qui elle aussi espérait repartir le jour même; hélas, après un diagnostic de schizophrénie avancée, elle n’est jamais ressortie vivante de Bedlam. Floyd dit alors à ses amis de rebrousser chemin, car lui a encore quelque chose à faire ici: récupérer un autre dossier, dans les sous-sols cette fois, un dossier non-officiel… son dossier. Leur devoir, leur dit-il, s’arrête là, et le reste serait beaucoup plus dangereux. Néanmoins, Liam et Charles secouent la tête, et affirment qu’ils resteront jusqu’au bout, d’autant plus qu’ils s’inquiètent tous deux pour l’état physique aussi bien que mental du jeune médecin, dont les “stigmates” vont jusqu’au point maintenant de saigner. L’atmosphère est fort tendue. Liam ne détecte curieusement rien d’anormal dans le motif vital de Floyd; quant à ce dernier, il est par moments de plus en plus confus, et prétend que c’est Charles qui ne va pas bien.

Catabase

Les trois hommes quittent le bureau des médecins pour s’engager dans le dernier escalier, menant au rez-de-chaussée. A mi-chemin, ils surprennent les voix de plusieurs cuisinières qui se hâtent vers leur lieu de travail, se plaignant de ce que les malades sont vraiment excités ce soir, ce qui n’a rien d’étonnant, vu le charivari à l’extérieur. A nouveau, Liam ne peut s’empêcher de se dire qu’ils ont beaucoup de chance, et que ceci n’est pas normal, même si Charles était tout à fait confiant en la réussite de son plan pourtant fort osé. Une fois les femmes parties, Floyd désigne la sortie à ses compagnons, en une dernière chance pour eux de quitter Bedlam; là encore, ils refusent, et l’enjoignent à leur expliquer plus avant son plan pour s’infiltrer au sous-sol. L’Euthanatos conseille de passer par la laverie, dont le contenu ne sera pas évacué le soir.

Soudain, tous trois s’interrompent, le regard attiré par un élément curieux. Dans le grand hall, sur le palier de la porte d’entrée, sont rassemblés deux médecins et trois infirmiers, les yeux rivés sur les émeutiers; mais au-delà, à l’autre bout du couloir où se trouve la lingerie, se tient une silhouette blanche, qui dès que les mages se tournent vers elle disparaît dans un couloir perpendiculaire. Les médecins ne semblent pas l’avoir remarquée; peut-être est-ce normal, vu qu’à ce moment, un tuba passe par l’une des fenêtres de la galerie du rez-de-chaussée, faisant exploser la vitre. Cette nouvelle diversion a le mérite de permettre aux jeunes gens de prendre la direction de la pièce à linge. La silhouette, qui était plus loin, au niveau de l’aile des patients de sexe féminin, ne réapparaît pas.

Essayant d’ignorer les grattements aux portes des chambres toutes verrouillées et les gémissements qu’il lui semble entendre en permanence, Floyd finit par trouver la lingerie, et Liam utilise alors le trousseau de clés volé pour l’ouvrir. La pièce où ils s’introduisent est encombrée de tas de draps et de vêtements souillés aux relents de sang, de sueur et d’urine, autour desquels volettent quelques mouches. Immédiatement, l’Euthanatos mène ses amis vers le déversoir à linge qui se prolonge jusqu’au sous-sol, et ils s’emploient à nouer plusieurs draps parmi les moins sales pour improviser une corde. Là encore, Floyd leur demande s’ils n’ont pas entendu des cris de douleur, et Charles en est maintenant convaincu: vraiment, cet endroit a une drôle d’influence sur Floyd, et il est indéniable que quelque chose s’est passé, ici, qui l’a grandement marqué. Alors que le jeune médecin est pris d’une subite quinte de toux, Liam constate que cette fois, son Motif vital se convulse, comme si un artiste invisible et mal intentionné en prenait des bouts pour les réorganiser; de plus, il a la sensation fugace d’être observé.

S’aidant de leur “corde”, ils descendent au sous-sol, Floyd en premier, Liam, perturbé, fermant la “marche”. Il n’est pas le seul à être distrait: en bas, quand Floyd pousse la trappe d’ouverture à l’aide de sa canne, il dérape, et sa tête vient cogner violemment le mur. Il lui faut avoir recours à Liam, muni d’un pied-de-biche dans sa panoplie de cambrioleur, pour finalement faire coulisser le panneau de bois. Il semble bien qu’on ne les a toujours pas repérés, et ceci est de plus en plus inquiétant en soi. La lingerie du premier sous-sol est tout aussi déserte que celle du rez-de-chaussée; tous trois atterrissent dans un grand panier d’osier empli de linge duquel monte une puanteur encore plus prononcée de sang et de matières fécales, au point que Liam lâche un juron, car il en a plein sa veste. Tandis que Charles, sur les nerfs, force la porte, Floyd se sent observé, et distingue brièvement une tête pâle qui le fixe depuis la trappe, avant de disparaître; lorsqu’il va voir de plus près, il n’y a rien.

Charles tend alors à ses amis les masques qu’il avait emportés: un Pierrot triste pour Floyd, un corbeau pour Liam et un Joker pour lui-même. Ils les passent, l’estomac noué, tout en s’engageant dans un long couloir vide aux murs qui suintent et au plafond couvert de toiles d’araignée. Floyd, obéissant à ses souvenirs, prend à la première intersection à droite, vers un autre couloirs dont s’élèvent des ricanements, gémissements et cris plus bestiaux qu’humains. Il prévient ses compagnons que d’ici une dizaine de mètres, ils passeront devant des cages, et qu’il vaudra mieux pour eux ne pas regarder à l’intérieur. A la seule lueur de leur lanterne, qu’ils ont maintenant allumée, ni Charles, ni même Liam, pourtant d’une curiosité insatiable, n’ont vraiment envie de désobéir. Charles joue les blasés, mais il est clair que les hurlements venus des cages lui font peur, de même que les bras décharné, les mains aux ongles longs et ébréchés qui se tendent entre les barreaux sur son passage.

Au bout du couloir

Alors qu’ils progressent d’un pas lent et hésitant dans le couloir, Floyd réalise soudain qu’une quatrième personne est en train de marcher à côté d’eux, ses pieds frappant régulièrement sur les dalles glacées et humides. Il prévient Liam et Charles, et tous trois se retournent, pour découvrir, debout derrière eux, une jeune femme à l’attitude tranquille, qui n’a pas plus de vingt-cinq ans. Ses yeux sont gris, ses cheveux d’un roux étonnant, flamboyant, qui tranche avec sa peau très claire et la chemise de nuit blanche dont elle est vêtue; fait curieux, elle marche pieds nus, mais ne semble pas vraiment affectée par le froid. Concevant une seconde l’idée qu’il puisse s’agir d’un fantôme, Floyd rejette bientôt cette possibilité: la Sensation émane d’elle, et elle est, tout comme eux, une magicienne.

D’une voix douce et gentille, elle se présente: Sarah Valentine, et demande qui ils sont, et s’ils sont venus rejoindre tous ceux qui sont ici. Confus, Floyd révèle qu’il est à la recherche d’une autre patiente, Sophie Richmond; la jeune femme secoue la tête, car elle ne la connaît pas. Etant donné qu’elle se déplace avec une relative liberté dans ce couloir où tous les autres sont enfermés, Charles lui demande si elle ne voudrait pas tout simplement sortir, ce à quoi Miss Valentine répond qu’elle ne peut pas, car elle est déjà “souillée”, et doit obéir aux ordres qu’on lui donne. Floyd se hérisse: est-ce du docteur Hackner dont elle est en train de parler? Sarah Valentine répond que oui, et lorsque Floyd lui dit qu’il n’est pas un de ses amis, mais un ancien patient, elle sourit, demandant s’il est venu remercier le bon docteur de tout ce qu’il a fait pour lui jadis. La colère envahit Floyd, qui bout intérieurement, et affirme qu’il a des comptes à régler avec lui. Toujours très gentiment, Sarah, qui trouve pourtant son attitude dommage, n’hésite pas à lui dire que le docteur est ici, et que pour aller le voir, il lui suffit de passer par la porte à l’autre bout du couloir.

Les trois hommes prennent congé d’elle. “Vous reviendrez me voir, n’est-ce pas?” demande-t-elle. “Nous nous reverrons tôt ou tard, Miss Valentine”, répond Floyd, qui a bien du mal à se contenir, et fonce vers la porte. Charles, se retournant une dernière fois, voit alors Sarah lever la main et lui faire un petit signe d’adieu d’un air quelque peu attristé, salut qu’il lui rend brièvement. Puis il rejoint Floyd, debout devant la porte des interstices de laquelle s’échappe une curieuse odeur de brûlé: cette porte de fer, au panneau et aux gonds rouillés, est celle de la salle des électrochocs… Floyd la reconnaît fort bien, se recroqueville un instant, sous le poids de ses souvenirs; Liam lui touche l’épaule, et recule par réflexe, frappé par une légère décharge électrique.

Floyd n’est vraiment plus lui-même, à présent. Mû par sa colère, il ne prend plus garde à rien, et ouvre à la volée la lourde porte. Celle-ci donne sur des ténèbres insondables, mais de ces profondeurs proviennent toujours ces étranges odeurs, de chair puis de cheveux grillés. “Montrez-vous, docteur Hackner!” hurle l’Euthanatos, puis, devant toute absence de réponse: “Dans ce cas, c’est moi qui viens vous chercher!” Et sur ces paroles, il se précipite par l’ouverture, sous l’oeil effaré de Liam et de Charles qui se lancent à sa suite pour le retenir, ou au moins lui dire de faire attention. C’est là que tous trois passent le seuil, réalisant mais trop tard qu’ils viennent de faire quelque chose de très, très stupide…