Shot down in Flames

Alerte

Alors que tout ce petit monde est en route pour la passerelle, en tant qu’officiers même du rang le plus inférieur (ce sont des Elus, après tout), la cloche du vaisseau retentit, en plusieurs séries de cinq sonneries. Wilson comme Clarick savent qu’il s’agit du signal d’alerte de niveau 1, et se hâtent vers la passerelle, Oakley et Amberville sur les talons, pour voir ce qui se passe.

Le technicien préposé aux communications les informe immédiatement qu’il capte une émission étrange, plus de la friture qu’autre chose, sur le canal régulier (c’est là que Charles comprend enfin que Floyd n’est plus aux commandes, car Wilson lui souffle avec un sourire en coin: « Voici la radio… C’est ce que vous cherchiez, ce me semble. ») L’Edinburgh reçoit le signal d’un autre vaisseau en provenance du nord-nord-ouest, à 100 pieds en dessous de leur altitude de vol aux abords de Reading. Aurait-on retrouvé là la trace du Glasgow, dont le signal avait été perdu après les combats à Worcester?

Liam et Charles ne peuvent même pas confirmer si oui ou non ce vaisseau était passé à Coventry avant eux; en tous cas, cette ville se situait bien sur leur route de patrouille, et l’Edinburgh aurait effectivement dû le retrouver sur le chemin entre Coventry et Londres. L’hypothèse à laquelle parviennent Wilson et Clarick n’est pas des plus reluisantes: si le dirigeable, déjà chargé de rescapés de Worcester, avait également recueilli des gens à Coventry, et que ces derniers avaient déjà été porteurs de Graines, alors il se pourrait qu’une catastrophe soit arrivée à bord…

Alors que Clarick quitte le local radio le premier pour prendre les commandes, Charles informe Liam que ce n’est plus ici Floyd qui joue la comédie, mais Wilson qui est de retour. Le pire étant que les deux mages n’ont rien contre lui, ils apprécient juste fort  peu de le voir ainsi occuper le corps de leur ami. Wilson en tous cas juge non sans un certain air narquois que leur méthode dans le rêve était fort surprenante et efficace. De son point de vue: « Je fais ce qui est nécessaire pour préserver ce qui est important. Floyd est à moi; j’en ai besoin. C’est moi qui ai l’avantage, alors soit vous coopérez, soit vous êtes sur mon chemin, et je devrai passer outre. Je vous offre une possibilité de rentrer chez vous sans causer de morts inutiles… pensez-y. » Bien sûr, le ton monte rapidement entre eux, au point qu’ils en arrivent à se menacer mutuellement de leurs armes pendant quelques secondes de lourde tension dans le couloir. Wilson semble persuadé que Liam, en dépit de ses dires, ne le tuera pas.

Tous trois finissent par gagner également la passerelle, échangeant des regards lourds de signification. Ils y trouvent un équipage de quart qui leur est encore inconnu, à  l’exception de Clarick et Morton; ce dernier est en train de terminer un rapport sommaire, disant qu’il a déjà donné l’ordre de descendre sous le plafond des nuages pour voir ce dont il en retourne. Un grand silence s’abat sur la passerelle alors que le vaisseau traverse la purée de pois, silence ponctué seulement par les ordres de rigueur. Enfin, la faible luminosité de l’aube naissante vient à nouveau éclairer la salle, et le choc sourd des ballasts mis en place dans les entrailles du navire révèle que celui-ci repasse en vol stationnaire.

Le contact visuel est établi; les deux vaisseaux ne se font pas tout à fait face, afin de pouvoir effectuer une manoeuvre d’évitement si nécessaire. Charles emprunte une paire de jumelles pour observer le petit point qui grossit de plus en plus. Le Glasgow — c’est confirmé par l’un des techniciens — est un vaisseau de plus petit tonnage, au ballon plus clair, bien moins massif que l’Edinburgh. Tandis que des signaux lumineux sont adressés au second navire, qui approche avec vitesse et assiette constante, Wilson secoue la tête: « Il va falloir l’abattre » … d’autant plus que le Glasgow a mis le cap droit sur Londres, et que si son ballon entre en contact avec la zone de contradiction, le résultat sera quasiment aussi catastrophique que dans leur cas à eux.

Attaque aérienne

Liam s’approche de l’une des verrières et tente de sentir, malgré la distance, s’il y a de la vie à bord; personne ne répondant aux signaux radio et lumineux, Wilson craint de plus en plus que le vaisseau n’ait effectivement été la proie de Graines. C’est alors que, Charles le premier, ils remarquent l’attitude quelque peu étrange de Clarick, qui se tient silencieux à son poste, une main crispée sur la poitrine, et le regard rivé sur la silhouette du Glasgow qui continue d’avancer sur eux à la même vitesse. Il finit par ordonner, l’air toujours absent, d’envoyer un dernier signal… puis de lancer directement une procédure d’annihilation si aucune réponse ne revient, quitte à la mener seul. Cet ordre surprend un certain nombre de personnes sur la passerelle, mais elles ne discutent pas, car le comportement des pilotes de leur vaisseau-compagnon est tout aussi bizarre, voire plus.

Un dernier signal et un coup de semonce sont donc envoyés. Au bout de deux minutes d’attente, Wilson propose d’utiliser les armes conventionnelles pour commencer, suggestion qui semble sortir un peu le capitaine de son état second. Liam se montre lui aussi inquiet: il n’est pas sûr que la vie qu’il a perçue à bord du Glasgow soit encore humaine. En attendant, toujours pas de réponse. Soudain, le Glasgow accélère pour foncer tout droit sur le dirigeable. Clarick ordonne immédiatement de passer en procédure d’esquive et en alerte de niveau 2. Personne ne sait exactement ce qui se passe — une manoeuvre désespérée de la part de l’équipage du vaisseau en perdition? Tout cela est bien trop rapide et inhabituel.

Sans plus attendre, le capitaine prend sa place au poste de contrôle de l’Impulseur, tandis que Wilson fait préparer les premières charges visant à abattre le vaisseau maintenant ennemi. La manoeuvre d’évitement risque d’être limite, et Clarick cherche avant tout à rediriger la puissance de la machine vers les ponts inférieurs afin de lui faire absorber le gros de l’impact à venir. De concert, sans même se consulter, Charles et Liam (qui pourtant répugnait à toucher à ce mécanisme) le rejoignent pour lui apporter leur aide, car il n’y a pas beaucoup d’autres mages présents en ce moment.

Avec horreur, Liam distingue, par la verrière, que le Glasgow est en train de larguer plusieurs formes oblongues… des corps humains, visiblement. Wilson comprend que ces corps, une fois tombés à terre, et en dépit de l’état dans lequel les laissera le choc, pourraient constituer de nouveaux foyers d’infection; il fait accélérer la procédure, et lancer une première série de charges sur le Glasgow, afin de mettre le feu au ballon et à tout ce qu’est en train de larguer le vaisseau. La réaction en chaîne qui s’ensuit ne peut être absorbée que par l’Impulseur, dont la fonction annihilatrice peut également être utilisée en tant que bouclier. Malheureusement, Clarick n’a qu’une poignée de soutiens magyques au niveau de la machine, et l’onde de choc se fait sentir à travers tout le bâtiment. Charles perd même brièvement conscience tant il est secoué.

Lorsque les pilotes parviennent enfin à rétablir la course du dirigeable autant que faire se peut, le bilan n’est pas brillant: les communications avec la salle des machines ont été perdues, le stabilisateur bâbord arrière a rendu l’âme, le dirigeable est considérablement ralenti, et le capitaine s’est effondré, épuisé par l’effort magyque. Wilson prend alors les commandes, de concert avec le commandant Morton, et fait faire volte-face au vaisseau afin de finir le travail.

Nettoyage en profondeur

Liam s’échine à se détacher de l’Impulseur, de toutes manières inutilisable à présent, et examine rapidement un Charles en train de se réveiller avant de se tourner vers Clarick, qui bien qu’affalé sur son siège n’est pas inconscient; il l’entend  murmurer l’ordre de lâcher les trois dernières charges thanatiques à grande portée du vaisseau. Malheureusement, afin d’échapper à l’onde qui se propagerait, il faudrait pouvoir augmenter à nouveau la vitesse et décamper d’ici très vite. Wilson refuse d’exécuter cet ordre: « Je ne suis pas mon père, » s’exclame-t-il, « et je ne corromprai pas le sol sur des miles, ce peu de terre anglaise qui reste, pour que ce… cet homme se sente moins coupable! » Liam dit alors à Wilson de lancer au moins la deuxième série de charges explosives, puis envoie Crumpet voler jusqu’à la salle des machines pour voir ce qui s’y passe et transmettre l’ordre de pousser les turbines à leur maximum pendant 15 secondes, pas une de plus… en espérant que ceci soit encore possible. Les charges qui vont exploser au sol créeront au moins suffisamment de courant ascendant pour que le navire puisse utiliser cela, dans le pire des cas, et repartir vers Oxford.

Clarick, lui, parvient à saisir Liam par le poignet et à réitérer son ordre, si faiblement que seul le Verbena l’entend, et perçoit le sentiment d’urgence dans sa voix: « Le sol va être contaminé si on laisse uniquement le feu faire son office… » Liam se tourne vers Wilson, qui continue d’affirmer que les incendiaires seront suffisantes, et jure devant Morrigan de mettre à mort le lieutenant (peu importe qu’il soit déjà un fantôme) si jamais il a tort et que le sol est contaminé par les restes des Dévorantes ayant pris possession de l’équipage du Glasgow.

Il ne reste que dix secondes avant l’impact; l’Edinburgh continue lui aussi de perdre de l’altitude, bien que moins rapidement que son ancien vaisseau-compagnon. Liam utilise l’un des périscopes du vaisseau afin d’avoir une vue d’ensemble du sol, et essayer de déterminer si, sur cette zone d’impact qui fait bien 200 m de rayon, il resterait encore des traces de Dévorantes. Il n’a pas le sentiment que quoi que ce soit de vivant se soit écrasé là en-bas… par contre, pour ce qui est des parties spectrales…

Charles lui aussi regarde, pour s’assurer que tout est propre, et se focalise justement sur les possibles émanations entropiques de ces maudites plantes, allant jusqu’à s’entailler le poignet et utiliser son sang pour alimenter sa magye.  Wilson s’étonne de voir là qu’on ne lui fait pas confiance, qu’on met en doute sa parole. Bien en a pris à Charles, car il doit malheureusement constater: « Vous aviez tort, Wilson: il y a encore de la corruption, » parvient-il à murmurer, avant de sombrer pour de bon dans l’inconscience. Liam en colère confronte alors Wilson et relaie lui-même l’ordre de Clarick de balancer les thanatiques. Wilson, très troublé, ne comprend pas: ses calculs étaient pourtant exacts?… Et tandis que Liam s’occupe de bander la nouvelle blessure de Charles, Wilson, d’un air absent, coordonne la manoeuvre de larguage des charges.

Evacuation

L’impact causé par les trois nouvelles explosions qui balaient le périmètre n’est pas physique, uniquement spirituel, mais même à la distance où ils se trouvent, tous les occupants de la passerelle l’entendent, cette sourde vibration qui leur emplit le crâne, jusque dans les tréfonds de leurs âmes. Le deuxième stabilisateur arrière parvient tout juste à compenser l’assiette chancelante de l’Edinburgh qui bondit vers les cieux, en une tentative de s’éloigner le plus rapidement possible de l’onde qui se propage vite, trop vite.

« Ca n’aurait pourtant pas dû se passer comme ça, » continue de marmonner Wilson… vite interrompu par le grésillement du transmetteur interne du vaisseau: la communication avec la salle des machines est rétablie, et c’est Leslie Wade qui s’annonce, à la grande surprise d’Eric (« Mais qu’est-ce que vous faites là-bas? — Ben… Je suis ingénieur! ») Le rapport de Leslie n’est pas très encourageant. Le moteur 4 est totalement hors d’état, et ils peuvent au mieux fournir encore 90% de la puissance en poussant les trois autres jusqu’au seuil critique. Elle transmet rapidement aux autres mécaniciens l’ordre d’envoyer une impulsion maximale pendant cinq secondes, qui sera compensée par les navigateurs, puis de stabiliser graduellement par tranches de 10 secondes.

Le système de communications rétabli permet aussi de faire demander d’urgence une équipe médicale sur la passerelle; Williams étant déjà en salle des machines pour s’occuper des blessés là-bas, c’est Home qui doit s’y coller, non sans grommeler un bon coup. Pendant les quelques minutes qui suivent, Liam (qui réitère à Wilson sa menace: « I stand by what I said… you’re a dead man. — I’m already dead, boy… ») s’occupe du capitaine, à peine conscient et toujours affalé sur son pupitre de commandes, sa main encore reliée à la machine. Clarick n’a même pas la force de protester lorsque le Verbena le sort de là, constatant qu’il a perdu bien trop de sang en trop peu de temps, et que son pouls ne cesse de faiblir. « Mauvaise nouvelle pour vous, Wilson: le capitaine est toujours vivant. » Sur ces entrefaites, Home prend le relais, et réquisitionne quelques hommes afin d’emmener à l’infirmerie Charles et Clarick. Ce dernier parvient tout juste à demander à Liam si le sol est sauvé, avant de perdre connaissance à son tour.

Echappatoire

Sur la passerelle, tout n’est pas terminé: Morton se charge à présent du cas de Wilson et de Liam, qui tous deux, au moins à un moment pour Floyd, ont passé outre les ordres de leur capitaine… et les fait mettre aux arrêts. Trois soldats les braquent de leurs fusils, confisquent leurs pistolets, et les escortent hors de la passerelle, prenant la direction de la cale.

Pendant le trajet, Eric et Liam ont un bref échange. Liam ne sait même pas finalement s’il abhorre Wilson en tant que personne, ou si ce qu’il déteste, c’est ce qu’il représente, et le fait qu’il n’ait ni scrupule ni hésitation à prendre possession du corps de quelqu’un d’autre. Eric lâche alors un soupir: « J’espérais ne pas devoir en arriver là.. » A ce moment, d’un mouvement si rapide que les autres marins n’ont pas le temps de réagir, il tire de sa poche la seringue de morphine dérobée à l’infirmerie, et gardée prête pendant tout ce temps-là, pour se l’enfoncer violemment dans la gorge, poussant le piston. L’effet est quasi immédiat, et il n’y a d’autre solution que d’envoyer deux des hommes le traîner d’urgence à l’infirmerie pour lui éviter une overdose mortelle. Resté seul avec le troisième, Liam commence lui aussi à se sentir mal, frappé maintenant par le contrecoup de la perte de sang subie dans l’Impulseur.

Et voilà donc nos trois compagnons d’infortune réunis à nouveau… et Liam à nouveau menotté à une couchette, à la différence que cette fois, Floyd/Wilson subit le même sort juste à côté de lui. Juste avant de sombrer dans le sommeil lui aussi, Liam entend Home râler: c’est que ça va encore leur faire du boulot en plus, tout ça!…