Acte IV : Prisons de rêves et de souvenirs

Dans le petit salon

Liam et Charles, traversant la fenêtre à la suite de « Maggie », ont juste le temps de la voir disparaître dans un mur, d’où elle ressort peu de temps après sous la forme d’un coucou d’horloge. Le rêve autour d’eux se stabilise, prenant la forme d’une pièce qu’ils connaissent bien : le petit salon d’Alexander Manor, éclairé par une unique lampe à huile posée sur la table basse.

Dans un fauteuil qui leur fait face est assise une silhouette solitaire, qui se relève d’un bond, refermant le livre qu’elle était en train de lire. Il s’agit de Floyd Alexander, surpris de leur arrivée, et bien content de les revoir. Charles le trouve un peu trop aimable pour être « leur » Floyd, mais comme ce dernier le lui rétorque, n’importe qui serait aimable en revoyant deux amis après avoir passé une éternité enfermé dans cette pièce.

Tandis qu’ils prennent place dans deux autres fauteuils, Floyd leur sert un cordial, et leur demande pourquoi ils semblent si troublés à sa vue. Charles lui explique qu’ils sont arrivés dans un endroit fort étrange, et qu’en lieu et place de Floyd se trouve maintenant un autre homme. A vrai dire, les derniers souvenirs de Floyd remontent à son bain à Amberville Hall ; il ne se rappelle pas le moins du monde leur périple à la Tour de Londres, et lorsqu’il s’est réveillé, il était là, dans cette version « murée » de son petit salon. Il a attendu, attendu, tenté de transformer les lieux, mais sans jamais pouvoir toucher aux portes ni aux fenêtres, comme si quelque chose l’empêchait de sortir.

Liam avoue alors ce qu’ils ont fait, leur virée à la Tour de Londres, et la manière dont tout cela a tourné, Leslie Wade enclenchant l’Apparatus qui lui servait de balise vers un soi-disant autre monde… où ils se trouvent à présent. La discussion est très confuse, Floyd interrompant le Verbena pour lui demander des précisions, puis pour s’étonner des curieuses marques noires qu’il porte sur sa main, et Charles à son avant-bras, « comme si quelque chose s’était emparé d’une partie de l’énergie brute qui vous anime. » Charles lui parle rapidement de la Dévorante qui lui a fait cela ; Liam, lui, préfère ne pas s’étendre sur le sujet.

Revenant à l’affaire de la Tour de Londres, Floyd comprend alors qu’ils l’ont emmené là-bas alors qu’il était endormi (peut-être même l’ont-ils drogué par-dessus !), et se montre, à raison, fort courroucé1Cette conversation a donné lieu au fameux “Oui, mais si nous ne vous avions pas emmené, très cher Floyd, vous n’auriez pas eu d’XP…”, surtout en apprenant qu’en plus, ils y sont allés en bateau. Charles intervient pour dire que c’est après cela, après leur entrée dans la forteresse « grâce à un plan subtil », que Floyd a commencé à se comporter de façon différente, comme possédé. Floyd s’emporte, vu la situation dans laquelle ils sont maintenant ; quant à lui, peut-être n’a-t-il passé que 15 heures possédé par Wilson, mais ces quelques heures auraient tout aussi bien pu être 15 ans, enfermé comme il l’est dans cette pièce avec juste quelques livres et un stupide coucou.

Récit d’un monde en perdition

Liam reprend le relais, expliquant qu’ils n’ont fait cela que parce qu’ils pensaient que sur place, la présence de Floyd serait utile à leur expédition. Ils n’avaient pas envisagé ne pas le voir se réveiller, et encore moins se faire posséder par qui ou quoi que ce soit. Le jeune Verbena présente d’ailleurs ses plus plates excuses, après quoi un grand silence se fait, finalement brisé par Floyd qui pense deviner comment tout cela s’est terminé : les deux femmes sont bien arrivées à ouvrir le portail.

Charles et Liam confirment, sauf qu’ils ne sont pas arrivés dans l’autre Londres, mais à Coventry – du moins, dans ce qu’il en restait… – où ils ont rencontré les fameuses Dévorantes. (Floyd secoue la tête, navré, regrettant d’avoir douté de Wade et Wellesley ; maintenant qu’il a vu les blessures spirituelles de ses amis, il ne peut plus croire que cela n’est qu’une invention.) Tout le monde sur place étant déjà mort (ou pire…), le petit groupe s’est réfugié au sommet de la cathédrale, où « le HMS Edinburgh, une sorte de vaisseau volant, comme le ballon pour Bedlam, mais pas circulaire, et beaucoup plus grand » les a récupérés in extremis. Floyd est quelque peu surpris : un bâtiment de marine ? En l’occurrence, précise Liam, il s’agit de His Majesty’s Ship, puisque c’est bien Charles VI Stuart qui occupe le trône. Le Verbena ajoute que son capitaine, Aidan Clarick, doit d’ailleurs être l’équivalent local de Stockwell (ce à quoi Floyd répond en avalant cul-sec le verre de whisky qu’il s’était auparavant servi), et qu’il a pour second le cocher de Charles… pardon, le commandant Andrew Morton. C’est là une logique assez affolante, pour Floyd : du coup, existerait-il aussi une version alternative de Liam ? De lui-même ? De Charles ?!

Charles, au passage, fait de son mieux pour dédramatiser la situation, au grand dam de Floyd qui s’offusque presque de le voir si nonchalant. Liam, la mine sombre, finit par laisser le médecin examiner sa main, qui ne porte pas de traces de morsures, mais de ponctions. Il a donné de son sang, et pas pour une noble cause… Pour Floyd, il a donné plus encore, et mettra peut-être même des mois à s’en remettre spirituellement. Une machine si diabolique, capable de raser une ville entière, sous l’impulsion d’un seul homme : de quoi est donc fait ce monde ? Et qui plus est, Floyd a lui-même participé à cette horreur, puisque l’homme possédant son corps était impliqué !

Quoi qu’il en soit, l’Euthanatos est formel : on ne peut pas laisser ces gens venir dans leur monde avec leur technologie et leurs machines de destruction, même si Charles est, lui, prêt à parier qu’elles ne fonctionneraient pas dans leur réalité – et que, de toutes manières, pour le moment, ce sont eux trois qui doivent passer en sens inverse, et pas les autres, tant qu’un moyen sûr n’aura pas été trouvé. Du moins la charge magyque sur la Tour de Londres a-t-elle été levée, puisque le signal visant à accrocher la balise de Wade n’est normalement plus lancé. Maintenant que Floyd y songe, c’est atrocement logique…

Maintenant qu’il songe aussi à autre chose, il se demande comment il a pu être possédé. Il n’était pourtant resté qu’une minute dans l’eau, à peine, et ne s’était pas trouvé en état de mort, à quelque moment que ce fût ? Liam et Charles expliquent que Wilson, toutefois, bien que décédé, était un mage de son vivant. Personne ne s’explique comment un fantôme a pu faire usage de ces mêmes pouvoirs magyques, qui normalement disparaissent au moment du trépas ; cependant, c’est un Réanimateur, et qui sait jusqu’à quel point ces sorciers de leur monde ont poussé leur science ?

Percée

Floyd reste silencieux quelques secondes lorsque lui est justement révélé ce nom d’Eric Wilson. C’est sans doute ce dernier, en fait, qui le maintient enfermé ici, afin de pouvoir jouir à loisir de l’usage de son corps physique. Liam est à peu près certain, par ailleurs, qu’ils ont croisé la route de certains des rêves de Wilson, en partant à la recherche de Floyd.

Il s’agit maintenant de tenter une remontée. Wilson n’a sans doute pu posséder Floyd que parce que ce dernier était inconscient ; à présent, Wilson doit être endormi, et à son tour vulnérable, surtout à une percée venue de l’intérieur. Liam rechigne quelque peu à utiliser ce salon-prison pour enfermer Eric, mais Floyd lui présente la chose sous un autre angle : Wilson étant mort, si on l’expulse tout simplement du corps dont il a pris possession, il pourrait fort bien ne pas « survivre » au choc (chose que Floyd se refuse à faire) – et même s’il tient bon, il continuera de le hanter, et de chercher à profiter de la moindre faille pour le récupérer. Floyd aimerait de plus le confronter directement, et s’expliquer avec lui.

Tous trois trinquent à la réussite de leur entreprise, puis, sous l’impulsion de Liam, se prennent par la main. Liam se tourne vers le grand miroir ornant le mur derrière eux, miroir qui ne reflétait rien jusqu’à présent ; s’entaillant le poignet, il trace une large marque de son sang qui très vite prend une teinte argentée et recouvre peu à peu toute la surface. De froide, celle-ci devient tiède, et sa résistance finit par céder à la pression des doigts des trois jeunes gens.

Retour difficile

Charles, désorienté, se réveille avec un fort mal de tête, les yeux larmoyants… et son agitation réveille à son tour Liam, qui constate à son grand désarroi que l’état de son ami n’est pas près de s’améliorer – dans la panique des dernières heures, il l’avait oublié, mais Charles n’a pas consommé d’opium depuis un certain temps, et c’est bien sûr le manque qui commence à se manifester. Tout juste remarque-t-il qu’ils sont dans la salle de repos où on les avait amenés, salle maintenant plongée dans la pénombre, un rai de lumière passant tout juste sous la porte close. Nulle trace d’Ada et Leslie, ni même d’Eric. Seul un homme est allongé, endormi, sur une couchette non loin de là, homme que Liam reconnaît vaguement comme étant celui qui avait perdu connaissance sur la passerelle, juste après la destruction de Coventry. Lui-même est toujours menotté à sa propre couchette par un poignet. Ce n’est pas cela qui va l’arrêter ; il tire de sa botte l’un de ses outils, et crochète rapidement la serrure des menottes aussi discrètement que possible pour ne pas réveiller le soldat. Ce simple bruit est pourtant déjà insupportable pour Charles, dans l’état où il se trouve.

Le Verbena examine rapidement son compagnon, qui, en plus du manque et de la déshydratation (ils sont là depuis plusieurs heures, au moins, vu qu’il fait maintenant nuit noire dehors), a trouvé le moyen de souffrir d’une gueule-de-bois, après tous les verres de whisky ingurgité dans leurs rêve commun. A la demande de Liam, le jeune homme sort un petit portefeuille de cuir, dans lequel il lui reste une dernière dose d’opium. Il n’a pas le temps de la prendre, car il se retrouve très vite à dégobiller dans le baquet que lui tend Liam, et ne peut ensuite pas faire grand-chose, à part rester allongé sur le côté. Ceci fait, le Verbena cherche de quoi lui préparer au moins de la tisane.

Toute cette agitation a fini par réveiller le marin qui se reposait non loin de là, un homme de vingt-cinq ou trente ans, à l’uniforme passablement froissé, aux yeux bruns, aux cheveux châtain en bataille et à la mâchoire carrée mangée par un début de barbe. Il le semble pas trouver le comportement de ses « voisins de chambrée » plus anormal que cela – sans doute plus d’un soldat a-t-il souffert d’un malaise similaire après une opération de destruction massive. Entre deux crises de vomissements, encore aggravées par la vue des biscuits que mâchonne le marin histoire de se sustenter un peu après son long sommeil, Charles parvient à lui demander son nom : Frank Marbury, Aile et Aspirant de marine en mission permanente sur l’Edinburgh. Marbury semble prendre tout cela presque à la légère (la force de l’habitude, dirons-nous), et trouve même le moyen de lancer une ou deux plaisanteries, tout en aidant Liam à mettre la main sur les caisses de rations et les réserves d’eau de la pièce. Liam en profite pour l’examiner à la dérobée ; même s’il fait bonne figure, il est clair que comme à peu près tout le monde sur ce vaisseau, il s’épuise peu à peu à la tâche…

Marbury

Qu’ils le veuillent ou non, Frank Marbury semble être assez porté sur la conversation en général, et a déjà compris qu’ils sont tous deux « les p’tits nouveaux ramassés à Coventry », ce qui l’étonne tout de même un peu, puisqu’on avait annoncé à l’équipage que toute la ville avait déjà été évacuée au préalable par le HMS Glasgow. Charles, encore bien affecté par ses soucis de santé, ne songe même pas, du coup, à cacher qui ils sont vraiment, et lui révèle sans autre forme de procès qu’ils ne viennent en fait pas de Coventry, mais d’un autre monde. Bien évidemment, Marbury le prend tout d’abord comme une plaisanterie ; s’il a bien vaguement entendu parler d’un projet de ce type, rien n’a jamais été concrétisé, à sa connaissance. Liam appuie les dires de Charles, et ils se présentent. Là, par contre, Marbury peut confirmer qu’il y a bien une famille Amberville à Londres… et la façon dont il élude quelque peu les questions de Charles, visiblement dans une tentative de présenter les choses de façon diplomatique, en dit long sur la réputation qu’ils doivent avoir !

Charles, en tous cas, est bien décidé à prouver ses dires. Pris d’une inspiration subite (et remerciant intérieurement Nasir et sa chasse aux bouteilles), il tire la flasque de jus de mangue qu’il portait sur lui depuis avant même leur expédition à la Tour de Londres, et lui fait goûter le breuvage. Plus que tous les arguments du monde, le goût si délicieux du jus de fruit, dans ce monde où on est bien plus habitué à des biscuits à demi rassis et autres rations de survie, achève de convaincre le marin de la véracité de ses dires ! A la question de Charles, qui lui demande ce que les gens ici seraient prêts à faire pour obtenir une telle boisson, il répond tout de go : « Je parie que certains seraient prêts à tuer, oui ! » Ce qui là aussi se passe de tout commentaire… Il leur conseille d’ailleurs, pour leur propre équilibre mental, de ne surtout pas chercher à savoir avec quoi on fait nourriture et boisson en ces lieux.

(R)entrée en scène

Sur ces entrefaites, la porte de la salle s’ouvre soudain, livrant le passage à un grand homme mince en uniforme rouge et noir, dont la silhouette se découpant dans la lumière se révèle être celle de Floyd… ou plutôt de Wilson, car la façon qu’il a de porter ses petites lunettes sur son nez ne trompe pas. Liam et Charles pestent intérieurement. Avançant dans la pièce, la canne de Floyd en main, Wilson interroge sans sommation Marbury pour savoir si c’est lui qui a détaché Liam. Immédiatement, le Verbena bondit pour lui placer son couteau sous la gorge, affirmant qu’il n’a besoin de personne pour se libérer. Sans se départir de son calme froid, Wilson ordonne à Liam de ranger son arme s’il ne veut pas avoir très vite de sérieux ennuis sur ce vaisseau, et à Marbury visiblement d’aller prendre un repas au mess, car il a à parler seul à seul aux deux hommes. Malgré son côté fort en gueule, l’Aspirant ne se le fait pas dire deux fois, et s’esquive, visiblement mal à l’aise.

Restés seuls, les trois mages se regardent une seconde en chiens de faïence, tandis que les bruits de pas du marin s’éloignent dans le couloir… puis Wilson se débarrasse de ses lunettes qu’il jette sur la couchette la plus proche, en disant simplement : « Merci. » Liam comprend tout de suite que c’est Floyd qui est là face à eux, et ne peut se retenir, dans sa joie, de lui sauter littéralement au cou. Floyd, embarrassé, explique qu’il lui fallait jouer le jeu et se faire passer pour Wilson, car de la sorte, il ne fait aucun doute qu’il peut se rendre, en tant que gradé, dans des endroits du navire auxquels ils n’auraient autrement pas accès. Il en a d’ailleurs profité pour aller en cuisine, d’où il a ramené quelques tranches de fromage pâle et fade, le mieux qu’il ait pu trouver. Ensuite, comme il n’était sûr de rien et ne savait où chercher ses amis, il a arpenté le vaisseau jusqu’à découvrir enfin où ils se reposaient (chose qu’il n’avait bien sûr pas pu apprendre de Wilson).

Et c’est là que se pose la question essentielle : que vont-ils faire, maintenant ?…