HM(A)S Edinburgh

Assiégés !

Liam est le premier à percevoir les curieux crissements, et en avertit Ada avant d’aller rapidement réveiller leurs compagnons (Floyd semble presque revenir à lui, mais lorsqu’il finit par ouvrir les yeux, c’est Wilson qui est toujours là…). Le lieutenant, elle, guette un autre bruit, plus diffus, plus distant aussi; elle pense qu’il s’agit du moteur d’un vaisseau, et se saisit d’un pistolet à fusées afin de pouvoir réaffirmer leur position. Leslie se penche un peu par l’une des ouvertures dans le clocher et examine la paroi en contrebas à l’aide de ses lunettes. Son expression seule, lorsqu’elle se redresse, suffit à révéler ce qui se passe — on dirait bien que c’est tout le Nid qui arrive, tout juste visible à la pâle lueur de l’aube naissante, rampant et s’accrochant aux pierres taillées, à défaut d’avoir pu franchir le sceau de protection placé sur la porte par Eric. Tous se  hâtent vers la plate-forme, d’où Ada tire immédiatement une fusée rouge, soulignant l’urgence de leur situation. C’est à qui arrivera le premier: le vaisseau… ou les Dévorantes. Pour le moment, la masse du beffroi leur dissimule le vaisseau en question, et ils ont du mal à savoir à quelle distance il se trouve encore.

Se doutant bien qu’il leur faudra certainement affronter les Dévorantes avant de pouvoir s’enfuir, les cinq mages se préparent au combat. Liam enchante de son sang son couteau et l’arme de Charles pour causer des dégâts plus importants. Sans plus attendre, tous deux se précipitent alors à l’autre bout de la plate-forme, où les premières racines ont commencé à s’infiltrer, et commencent à trancher ce qu’ils peuvent. Ada confie à Leslie la dernière fusée, et saisit la hache récupérée dans la sacristie pour venir en aide aux deux hommes. Quant à Wilson, il trace de sa canne-épée une ligne sur le sol, divisant la plate-forme en deux, et entame un rituel. Liam parvient à intercepter de sa lame une racine qui vient de se jeter sur lui à une vitesse surprenante; de même pour Charles. Les morceaux de plantes tombés au sol continuent de bouger, en dépit du fait qu’ils finissent par se racornir tout de même. Hélas, la masse du Nid est si importante que cela ne semble qu’une goutte d’eau dans l’océan. Leslie, à présent debout sur la rambarde, garde le regard rivé sur le ciel; à peine quelques secondes plus tard, alors que le son des moteurs se fait très proche, elle lève son bras et tire sa fusée, qui explose en une gerbe rouge à proximité du clocher.

Au milieu de la plate-forme, Wilson vient de finir de tracer sa “frontière”. Il tire de sa veste d’uniforme sa fiole, dans laquelle il ne reste plus que deux doses, et en répand une le long du fin sillon en murmurant des incantations, si concentré qu’il ne fait plus guère attention à son environnement, et ne voit pas Ada continuellement trancher dans les tentacules, pas plus que l’air horrifié de Liam lorsque l’une des racines se dresse face à lui, ouvrant soudain à son extrémité ce qui semble bien être une gueule béante où trois crochets plus clairs font office de “dents”. Le Verbena ne cherche même pas à réfléchir et frappe pour tenir cette chose à distance. A ce moment, Eric porte la dernière touche à son sort; la poussière argentée versée dans l’interstice prend feu comme spontanément, créant un mur entre les cinq mages et la masse végétale grouillante. Il sait que ceci ne durera pas longtemps, mais son but est principalement de gagner du temps, et de permettre à leur groupe de faire retraite jusqu’à la balustrade afin de pouvoir gagner le vaisseau dès qu’il arrivera.

Liam surtout semble être devenu une cible privilégié, et ce n’est qu’une fois que Wilson lui dit de reculer qu’il comprend pourquoi: sa plaie saigne toujours, et l’odeur de son sang attire les créatures. Pour qu’il puisse se soigne rapidement, Charles se place devant lui et le protège, tranchant comme il le peut dans le tas. Plus loin, Ada a trempé sa hache dans les flammes, sur les conseils de Wilson, pour pouvoir repousser plus efficacement les racines. Le temps semble maintenant s’écouler avec une lenteur incommensurable, et les secours ne jamais arriver.

Charles, dans son action fort courageuse mais hélas peu adaptée à ses capacités réelles, voit soudain l’un des tentacules plonger sur lui et le mordre violemment au bras gauche. Dans un réflexe, Liam parvient à l’arracher à la plante et à le traîner vers le reste du groupe, où Eric et Ada n’ont besoin que d’échanger un regard pour savoir qu’ils pensent tous deux la même chose, et que la situation est grave pour le jeune mage. Eric lance à Liam ce qui lui reste de poudre (il nomme cela la “poussière d’ange”) et lui dit d’en répandre sans plus attendre sur la blessure et d’y mettre le feu, alors que Charles commence déjà à se sentir mal, avec la sensation qu’un feu liquide se répand dans son bras. Pire encore, lorsque Liam s’exécute et enflamme de son briquet l’étrange poudre grise, il tourne de l’oeil, car la poussière d’ange enflammée lui cause autant de douleur, voire plus, que ce qui était en train de l’infecter. Le Verbena a tout juste le temps de le rattraper, protégé par Ada qui redouble d’efforts, et lui administre une gifle afin de le réveiller, ce qui marche en partie (du moins Charles cherche-t-il vaguement à se saisir de son arme). Il ne peut que remarquer du coin de l’oeil que la situation est critique, et qu’en dépit du combat acharné que livrent Wellesley et Wilson, ils seront tous submergés d’ici deux minutes…

Intervention aérienne

Toujours debout sur la balustrade, Leslie leur hurle soudain de venir vers elle: « Ils sont là! » Sans plus attendre, Ada et Eric délaissent les racines pour rapatrier les deux autres mages de l’autre côté de la plate-forme. Une gigantesque ombre s’abat alors sur eux, éclipsant le soleil levant et la flèche de la cathédrale; Liam et Charles n’ont que le temps d’apercevoir ce qui ressemble à une coque de navire, flanquée des lettres “HMS EDIN—”, avant que de lourds grappins de métal ne raclent la façade, s’enfonçant dans la pierre dont ils arrachent des moellons à la douzaine au passage, faisant trembler toute la plate-forme.

Depuis une trappe dans la coque, deux hommes lancent une large échelle de corde, dont l’extrémité vient toucher la balustrade à quelques pas d’une Leslie que tout ceci n’a même pas fait trembler. Au même moment, les deux mages voient s’élancer quatre autres personnes, vêtues des mêmes uniformes rouge sombre que Wilson et Wellesley: deux sont armées du même type de fusil qu’Ada, les autres portent deux fusils d’un genre fort différent, puisque leurs canons crachent littéralement des jets de flammes — et tous se déplacent grâce à un système complexes d’hélices attachées à leurs poignets, genoux et chevilles, en plus d’une grande aile porteuse dans le dos. Volant au dessus de la plate-forme, ils se mettent sans plus attendre en formation de combat, arrosant tout d’abord les Dévorantes de feu, puis finissant le travail au fusil thanatique.

Liam n’a pas vraiment l’occasion de se poser plus de questions: emporté par sa vitesse et sa masse, le vaisseau menace à tout instant de dériver, et il pousse donc Charles vers l’échelle pour le faire passer en premier, s’accrochant à sa suite, prêt à le retenir s’il venait à tomber. Leslie, Ada et Eric les rejoignent; en haut, les hommes commencent déjà à remonter l’échelle, et tous les cinq se retrouvent un moment suspendus au dessus du vide.

Les soldats équipés d’ailes parviennent à nettoyer suffisamment le Nid en contrebas pour que très bientôt, tout ce petit monde se retrouve fort heureusement hors de portée des Dévorantes. Charles se voit accueillir toutefois par une exclamation horrifiée lorsque ceux qui les attendent en haut constatent l’état de son bras. Ils ont à peine le temps de voir où ils se trouvent—  une sorte de pont inférieur — que déjà ils se retrouvent mis en joue par six personnes armées de fusils. Ada et Wilson signalent tout de même que la blessure a été neutralisée à la poussière d’ange, ce qui est très vite vérifié: « Elle est encore ouverte, c’est bon signe », acquiesce celui qui semble diriger la phalange, un homme en uniforme cette fois gris et non rouge, et que les deux lieutenants connaissent sous le nom de Hodgekiss. Ce dernier se demande tout de même ce qu’ils faisaient là. Il fait en tous cas signe à deux des marins de soutenir Charles, et à un autre d’aller prévenir le capitaine.

Le petit groupe est alors escorté le long d’étroites coursives de bois et de métal, aux tubulures courant le long des parois, sentant le sol vibrer continuellement sous leur pieds (les moteurs, dit Ada). Liam tente de mémoriser leur trajet, mais n’y arrive pas: cet endroit est un véritable labyrinthe, curieux mélange d’escaliers et de passerelles et d’éléments clairement anciens, de pure fonctionnalité. Ce bâtiment n’est pas des plus récents, et il y flotte une odeur rémanente de charbon, d’huile rance, de fumée et de sueur. C’est à se demander quel y est l’état de la discipline et du moral des troupes, et lequel a fait baisser l’autre en premier. Au cours de leur petit périple, ils croisent à plusieurs reprises d’autres soldats, en uniformes soit rouges, soit gris. Si Ada, Leslie et Eric semblent rapidement reprendre leurs marques ici, les deux autres, eux, voient leur nervosité croître encore plus à cause du tintement régulier de la cloche d’alarme qui résonne encore un peu partout.

Quarantaine

Les cinq mages sont menés dans une pièce équipée de plusieurs couchettes et de quelques meubles boulonnés aux murs et au sol, visiblement prévue pour le repos des troupes, mais sans aucun hublot, ce qui dérange fort Liam, un brin claustrophobe. Tandis que Charles est placé sur une couchette, Hodgekiss les informe qu’il va leur falloir rester en quarantaine ici, au moins jusqu’à ce que le médecin de bord et le capitaine les voient.

Une fois le marin parti, Liam examine la blessure de son ami, toujours couverte de poussière d’ange, ainsi que son motif vital, découvrant d’étranges radicelles partant de la plaie, comme pour se répandre dans son bras et gagner les parties vitales; elles sont noires et inertes, et ont heureusement cessé ce dernier mouvement. Wilson le rassure: à ce stade de la morsure, la pulsion thanatique n’était pas encore lancée, et donc facile à enrayer. Les Dévorantes agissent en fait comme des parasites, remontant jusqu’aux organes vitaux où elles se nichent et se nourrissent pour enfin éclore en tuant leur hôte. Il faudra tout de même à Charles du repos, d’autant plus que la douleur ne lui laisse pas de répit, et il lui déconseille toute activité prolongée et fatigante, ou encore d’enlever la poussière de la plaie.

En attendant, ils s’installent tous chacun sur une couchette; Charles commence assez vite à somnoler, bercé par le ronronnement diffus des moteurs, maintenant moins présent. Le tintement des cloches d’alarme s’espace. Liam, qui s’est réfugié en hauteur, demande à Wilson si c’était lui dont ils avaient vu l’esprit sur la Tamise. Le lieutenant hausse les épaules, répondant que lui n’a commencé à reprendre conscience qu’une fois dans l’enceinte de la Tour de Londres, mais que peut-être « c’était là l’esprit de votre ami Floyd, qui cherchait à vous rattraper? » Wilson semble tout de même assez confus par moments, retrouvant très rapidement ses repères pour certaines choses, mais pas pour d’autres; il s’attire notamment un regard bizarre de la part d’Ada lorsqu’il signale aux deux jeunes mages combien le capitaine est un homme pompeux… caractéristique qui est en fait plutôt celle de son commandant en second. Ada quoi qu’il en soit leur dit de ne pas trop faire les malins.

Alors que tous se reposent, et que Eric comme Liam commencent à piquer quelque peu du nez, des bruits de pas (trois personnes) se font entendre dans le couloir. Tous deux se redressent immédiatement. Un marin déverrouille la porte de la salle de repos, livrant le passage à un homme sec comme une trique et au visage aussi aimable qu’une porte de prison, en uniforme gris très propre, et arborant des galons d’officier. Liam cligne des yeux: il ne s’agit de nul autre que d’Andrew Morton, le cocher de Charles!… Ce Morton-ci, en tous cas, se plante près de la porte et annonce d’un ton très cassant et très sérieux “le capitaine Aidan Clarick, du HMS Edinburgh“. Wilson se tend en un réflexe — il est clair que les deux hommes ne s’apprécient guère.

Liam a la même réaction, mais pour une autre raison. L’homme qui vient d’entrer, grand et athlétique, la cinquantaine bien tassée, une longue cicatrice lui barrant la joue droite, son visage dur et émacié mangé par de profonds cernes sombres, arbore un regard intense, perçant, presque dévorant, renforcé par la couleur bien particulière de ses yeux: un bleu acier qu’il a déjà vu quelque part. Et maintenant qu’il y pense, si on lui enlevait une vingtaine d’années, il présenterait une ressemblance plus que frappante avec une certaine créature de la nuit, qui porte d’ailleurs exactement le même prénom…

Ô capitaine, mon capitaine

Le moins qu’on puisse dire est que l’attitude du capitaine en question contraste fort avec celle de Morton, puisqu’il considère un instant les nouveaux arrivants avec un sourcil levé, sa veste d’uniforme rouge négligemment jetée sur l’épaule, avant de s’adresser à eux sans autre forme de protocole avec un accent écossais particulièrement prononcé. Ada et Leslie se lèvent d’un bond pour faire leur rapport concernant la mission dont elles étaient chargées (après tout, Ada et Eric avaient servi pendant des années sur ce vaisseau avant d’être affectés sur le projet, et Leslie elle-même connaissait un peu l’Edinburgh). Il hoche la tête à la mention d’un autre monde, bien réel et viable, de l’autre côté du Voile; de toute évidence, il est au courant des buts de l’Echelle.

Lorsque vient le tour de Liam, celui-ci réagit à son nom, lui disant que chez eux, il a une signification bien particulière. Pendant ce temps, le capitaine examine sans douceur la blessure de Charles, le réveillant au passage, pour conclure sans même plus y prêter attention qu’il n’est plus en danger, et que le médecin devra tout de même vérifier, mais que ce n’est que pure routine maintenant. De fort mauvaise humeur, Charles n’hésite pas à tenter de le provoquer; Ada lui fait signe de se calmer.

En ce qui concerne Wilson, Clarick se tourne enfin vers lui et l’observe un instant avant de conclure que « ouais, ce nouveau corps est pas si différent de l’ancien, en fait. Vous l’avez ramassé où, ce macchabée? » Eric a de toute évidence fort peu envie de lui parler, mais il l’informe tout de même de l’identité de Floyd Alexander (chez eux, ils ont par contre une famille “McAlexander”), et lui montre la canne, dont le pommeau représente un aigle entourant de ses ailes une petite sphère. Tout en l’écoutant, le capitaine commence à  manier la canne, en tirant soudainement l’épée qui y est dissimulée, comme s’il avait su dès le départ de quoi il s’agissait, sans qu’on ait à le lui dire… et conclut en la lui rendant que « ce sont bien les armoiries et l’arme de Wolfram ».

Mention est ensuite faite de ce qui s’est passé à Coventry. Liam et Charles voient Wilson et Wellesley pâlir quelque peu lorsque Clarick secoue la tête et leur dit qu’il va falloir nettoyer la ville… Ils ne pourront pas retourner à Londres avant de s’être chargés de cela. Au passage, il réquisitionne justement Liam et Eric sur la passerelle, une fois qu’ils auront vu le médecin et pris un repas.

La discussion terminée, Clarick se contente de donner un coup de pied dans la porte à nouveau verrouillée pour se faire ouvrir. A ce moment, Charles qui tournait le dos à ladite porte réalise enfin la présence de Morton, et, stupéfait de voir son cocher ici, commence à l’interroger, récapitulant au passage son passif de fils de prostituée engagé dans l’armée aux Indes pour fuir l’Angleterre où il avait eu pas mal de soucis étant plus jeune. Morton le prend très mal, signalant d’un ton très cassant qu’il y a erreur sur la personne, qu’il est issu d’une excellente famille, et qu’il vaudrait mieux ravaler de telles insultes. La dispute n’en vient heureusement pas aux mains: Morton tourne les talons et quitte la pièce, très digne, pour suivre son capitaine.

Un retour compromis?

Une fois seuls à nouveau, Wilson dit à Charles qu’il est fort chanceux de s’en tirer à si bon compte. Son hilarité ne dure pas: le nettoyage de Coventry va les retarder, et selon lui, Clarick ne se laissera pas convaincre de passer outre. Ada est fort embêtée; elle n’ira pas contre son capitaine quoi qu’il arrive, mais elle voit bien elle aussi que le temps presse, et que plus ils tarderont à signaler leur retour, plus longtemps les scientifiques du projet continueront d’envoyer le signal, et de causer ainsi des problèmes dans l’autre Londres. Charles suggère de s’emparer de force d’une barge de sauvetage, ce qui serait techniquement possible, sauf qu’ils n’auraient que peu de chances d’arriver vivants au terme d’un tel voyage à bord d’un petit esquif, et seraient sans nul doute attaqués. Ce qui mène Charles à une autre suggestion encore plus folle, celle de prendre un otage (pourquoi pas Clarick lui-même?). Hélas, dit Wilson, il est impossible de négocier avec les Dévorantes, ce n’est pas comme cela que ça se passe.

La discussion devient fort houleuse. Une chose est certaine, on ne peut pas laisser l’Echelle émettre trop longtemps vers l’autre Londres, mais on ne peut pas non plus la couper, car qui sait s’ils parviendraient ensuite à retrouver le bon vecteur et à atteindre à nouveau le bon endroit? Il faudrait placer une balise dans le monde des PJs; ceci dit, il faudrait aussi qu’elle se trouve à un endroit similaire au Node de la Tour de Londres, suffisamment puissant, et à part Stonehenge et quelques rares autres places dont il ne connait pas forcément la localisation, Liam lui-même ne voit pas trop. Ada secoue la tête, et dit qu’elle va essayer de parler à Clarick d’abord et de le convaincre d’envoyer au moins un message à Londres. « Comment? », demande Charles. « Par les ondes radio, bien sûr, » répond Ada, « du moment qu’il n’y a pas trop de perturbations. » Eric corrobore son affirmation… et Charles commence tout de suite à songer aux profits qu’on pourrait tirer d’un tel moyen de communication, dans son monde… D’ailleurs, à un moment où Liam se retire sur sa couchette pour se reposer un peu, tous deux en profitent pour discuter à mots couverts de ceci: Eric est fort d’accord pour les aider, du moment qu’il a quelque chose à en retirer!

Un peu plus tard, la porte s’ouvre à nouveau pour laisser le passage à un homme d’une quarantaine d’années, un peu empâté, lui aussi portant une veste rouge, et une sacoche de médecin. Il s’agit du Dr. Williams, le médecin de bord, qui examine Charles et refait son pansement. Il donne également des ordres pour qu’on leur porte très vite à manger. Charles rêve à haute voix de poulet basquaise, ce qui ramène un vague souvenir à l’esprit de Floyd/Wilson, au sujet de poulet et d’un chien. Quelques minutes plus tard, ils se voient amenés quelques rations de survie, et tout le monde de manger en silence cette pitance absolument répugnante. C’est surtout difficile pour Charles, en fait: Eric, Ada et Leslie ont l’habitude, et Liam quant à lui a déjà dû tant de fois faire les poubelles pour survivre que ça ne peut pas être pire…

Sur la passerelle

A peine ont-ils terminé qu’un marin en uniforme gris vient les chercher pour les mener à la passerelle (sauf Charles, qui doit se reposer). Liam s’enquiert des deux couleurs d’uniformes; les rouges signalent en fait les “Elus” (les mages, the Enlightened Ones), les gris sont pour les autres — il est à noter aussi que tous les uniformes rouges portent des galons d’officiers, même peu gradés. Deux soldats qui les croisent s’étonnent d’ailleurs de voir Liam, « un civil… Tu penses que c’est un inspecteur? — Meuh non, et de toutes façons, le capitaine le passerait par-dessus bord, comme le dernier en date… » Par un hublot, au passage, Liam distingue la flèche de la cathédrale de Coventry, encore grouillante, de même pour les rues (ils sont actuellement en vol stationnaire à quelques centaines de mètres tout juste de là). Par une fenêtre grillagée au dessus de sa tête, le Verbena aperçoit aussi un bout du ventre du ballon du dirigeable.

Arrivés sur le pont supérieur où se trouve la passerelle (à l’avant de l’appareil, et non à l’arrière comme sur les navires marins), les deux mages constatent qu’une quinzaine de soldats sont là, dont cinq en uniformes rouges. Liam ne comprend absolument rien à leurs systèmes de consoles, d’éléments en cuivre, de tubes de transmission et autres leviers. Tout à l’avant se trouve de plus une autre machine étrange, assemblage d’une dizaine de fauteuils et d’autant de consoles surmontées de sphères ouvertes faites de branches de cuivre, dans lesquelles on peut placer une main. Ces sièges sont tous inoccupés pour le moment.

Lorsque le capitaine avise leur présence et leur fait signe de le rejoindre, Liam lui demande s’il serait possible d’envoyer un message à Londres, ce à quoi il répond distraitement que c’est déjà fait, et qu’ils leur ont dit que « deux éclaireurs et demie sont revenus. » Wilson quant à lui s’enquiert de l’opération de nettoyage, et de si elle marchera. « Oui, si vous avez assez de sang… » Ils ne sont plus que six pour opérer, les autres étant encore affaiblis suite à un accrochage qu’ils ont eu la veille à Worcester. De plus, ils n’ont pas encore pu rejoindre le HMS Glasgow, leur vaisseau médical de patrouille, parti en avant avec des blessés et des réfugiés.

Liam commence sérieusement à se poser des questions concernant l’opération de frappe. Tous les hommes (et femmes!) présents en uniforme rouge prennent place dans les fauteuils de la curieuse machine située à l’avant. Ada esquisse un mouvement pour s’y rendre elle aussi, mais Clarick l’arrête de la main, car ses blessures à elle sont encore trop récentes — et Leslie, elle, est un peu trop un poids-plume pour vraiment donner de son sang. Wilson jette un regard rapide à Wade, un regard étrange, empli non pas de concupiscence comme on aurait pu s’y attendre, mais plutôt d’une profonde douleur. Il prend place sur son siège sans un mot, suivi de Liam, et enfin du capitaine, qui s’installe au centre du dispositif. Eric prévient Liam que ce ne sera pas de tout repos, et que les mots ne suffiront jamais à décrire ce qui va se passer. Le Verbena rétorque que le sang qu’il va sacrifier n’est même pas le sien, en plus.

Impulsion

Les préparatifs se font dans un silence de mort. Liam, méfiant, place sur lui-même un petit rituel de Vie qui lui permettra de reconstituer plus vite par la suite le volume de sang perdu. Il surprend quelques murmures autour de lui, du genre “« c’est un Clarick, c’est toujours comme ça que ça se passe, de toutes façons… » L’atmosphère est clairement très plombée. Tous les mages mettent une main dans la sphère aux branches de cuivre face à eux. Liam sent un lourd bracelet se referme alors sur son poignet, l’empêchant de bouger, tandis que trois aiguilles s’enfoncent entre des doigts pour tirer du sang, le faisant sursauter. Le sang de tous commence à s’écouler dans les tubes, brassé à l’intérieur de la machine par une centrifugeuse aux bruits des plus inquiétants. Les autres mages, bien qu’ayant très certainement l’habitude, n’en mènent pas large non plus. Wilson a du mal lui aussi, car le corps de Floyd n’est pas habitué à ce type de douleur. Clarick, lui, place ses deux mains dans l’appareil, stoïque, une expression impénétrable sur le visage. Lorsque ses doigts se referment sur les poignées, il donne l’ordre de lancer la procédure de nettoyage.

Liam fixe le plafond d’un regard vide, s’efforçant de ne pas prêter aux sons émis par la centrifugeuse, heureusement invisible sous les pupitres. Il ne capte que quelques mots de ce que les techniciens derrière eux disent: “envoi des balises”, “première impulsion”… Il est pris au dépourvu par le lancement du sortilège lui-même, alors que le sang versé par tous alimente enfin le circuit de la gigantesque machine, et que tous les huit voient leur propre magye mise à contribution. La femme assise juste à côté de lui l’enjoint de ne surtout pas craquer, car ils ne pourront pas recommencer cela une deuxième fois dans les heures qui suivent. Liam parvient à se reprendre, et à réalise que non loin de là, le capitaine est en train de murmurer quelque chose — une sorte d’incantation en gaélique, qu’il ponctue par une phrase déjà entendue quelques temps auparavant: « Retourne au Néant. »

Une sensation de vide terrible, ignoble, les saisit tous aux tripes, comme si pendant un court moment, ils se retrouvaient tous arrachés à leurs corps. De longues minutes qui semblent vouées à durer éternellement s’écoulent, dans un silence de mort. Enfin, l’un des techniciens de la passerelle annonce d’une voix atone: « Impact réussi. » La tension laisse place à l’épuisement. L’un des mages perd connaissance, un autre s’éjecte de son fauteuil, au bord de la nausée. Clarick lui-même s’effondre à demi sur son siège. Sans plus attendre, plusieurs marins entrent et se dirigent vers eux pour bander sommairement leurs mains et les aider à se relever. Liam sent à peine la magicienne à côté de lui lui poser une main sur l’épaule pour le réconforter, désolée qu’il ait eu à faire ça à peine arrivé sur ce bâtiment. Même Wilson titube de fatigue, bien que cela ne l’empêche pas de s’enquérir immédiatement auprès du capitaine de la possibilité d’aller à Londres. Rien ne les empêche plus maintenant, en effet, et Morton, resté aux commandes du vaisseau durant toute la procédure, relaie l’ordre de mettre le cap sur Londres. Liam, de fort méchante humeur maintenant, demande à Clarick s’ils font cela souvent. « Aussi souvent que nécessaire, » répondent Clarick et Wilson en même temps, avant de se lancer l’un à l’autre un regard presque vexé.

Liam et Eric sont menés ensuite, ainsi que les autres mages ayant participé à l’opération, vers une salle de repos non loin de là. Le Verbena s’arrête soudain brusquement au détour d’une coursive: par un hublot, il dispose maintenant d’une vue imprenable sur Coventry… ou plutôt sur ce qu’il en reste, c’est-à-dire rien. Au sol s’étend un large cratère aux bords lisses, comme si toute cette zone avait été proprement découpée et retirée. Qui plus est, clignant des yeux, il croit distinguer une rémanence magyque très diffuse, dessinant dans son champ de vision la forme presque indiscernable d’un symbole qu’il a déjà vu. Interloqué tout d’abord, il murmure: « Est-ce que c’est à cela que nous avons aidé? », ce à quoi un Wilson laconique lui répond que oui. Liam grogne alors que lui, Eric, n’a même pas utilisé son propre sang pour faire cela, et se jette à sa gorge, furieux  — ce qui ne va pas très loin, car, épuisé, il tombe à genoux la seconde d’après. Imperturbable, Wilson ordonne alors à l’un des marins qui les escortent de menotter Liam à une couchette une fois dans la salle de repos, afin de prévenir toute action de ce type à son réveil, et de lui faire administrer un sédatif.

Et pendant ce temps, Charles, dont on avait levé la quarantaine, se retrouvait lui aussi dans cette même salle, à jouer dans ses rêves au whist avec Crumpet. La dernière vision de Liam avant qu’on le jette sur sa couchette est celle de Charles se levant à son entrée pour lui remettre £50 (Crumpet a gagné, de toutes évidence) avant de retourner lui aussi se coucher.