Avec la première partie de ce long scénario, nous attaquons le gros morceau de Shadow Nexus. Vous y verrez de plus un certain nombre de PNJs assez particuliers, et de nouveaux éléments troublants quant à ce qui se passe en coulisses.
Retour à l’Oneiros
Amertume et fumées
Dans un silence de mort, l’équipage crasseux et épuisé retourne vers les quartiers plus fréquentés de Londres – enfin, plus fréquentés est un bien grand mot, au vu de l’heure plus qu’indue (il est quatre heures passées). Charles ne desserre les dents que pour ordonner à Andrew de déposer Liam et Floyd au manoir Alexander, où ils comptent laisser le corps de la pauvre Sarah Valentine, puisque l’Euthanatos dispose d’une cave aménagée spécifiquement pour ses propres dissections. Le Verbena confie à son Familier Crumpet la garde du corps. Puis, morts de fatigues et après s’être rapidement décrassés, les deux mages s’effondrent, Liam sur le canapé, Floyd dans un fauteuil, et sombrent dans le sommeil.
Ceci fait, la berline repart dans la nuit: trop perturbé par tout ce qui s’est passé, Charles Amberville n’en peux plus, sa volonté sur le point d’être brisée, et il ne peut faire autrement qu’aller noyer son amertume, non pas dans l’alcool, mais au Lotus Noir, dont il est un habitué. Cette fumerie d’opium de Limehouse, tenue par Monsieur Ming, est réservée aux clients de qualité, et personne ne l’y dérangera. Près de deux jours vont s’écouler ainsi pour lui. Le calme et sage Nasir lui-même n’intervient pas cette fois, trop conscient de ce que son maître est à deux doigts de craquer. Lui et Andrew se relaient afin de s’assurer de sa sécurité; le 20 novembre au matin, le grand Sikh, n’y tenant plus, finit par entrer dans la bâtisse pour y récupérer le jeune lord à l’esprit trop embrumé par les drogues pour réaliser ce qui se passe, et le ramener à Amberville Hall. Charles est même si peu conscient de ses actes qu’il ne se souviendra jamais avoir passé une partie de son temps à la fumerie dans les bras de Roseau Fleuri, une jeune et jolie prostituée chinoise avec qui il perd cette nuit-là son pucelage, et un peu plus encore: dans les mois qui suivent, Roseau Fleuri repartira dans son pays, enceinte des oeuvres de l’Orphelin, et ce n’est que bien des années plus tard, au tournant du siècle suivant, qu’une jeune Eurasienne prénommée Xue viendra frapper à sa porte…
Rencontre avec Floyd
Revenons-en maintenant à Liam et Floyd, qui tout d’abord, au cours de la matinée du 18 novembre, prennent donc quelques heures de repos bien méritées. Liam se retrouve comme cela lui arrive si souvent à rêver, mais pas n’importe comment: il connaît trop bien les chemins de l’Oneiros pour cela. Dans son rêve, il se souvient qu’il avait pensé passer par ce biais pour tenter de trouver plus d’informations sur la petite Genevra et sur cette curieuse créature qu’est Aidan Stockwell, dont Floyd lui a rebattu les oreilles. Ce pourrait être là une bonne occasion de se mettre en quête de telles informations. Modelant rapidement la substance de l’Oneiros, il se rend au Viaduc. Les eaux argentées sont lourdes et immobiles sous un ciel où commence à poindre une aube pâle, mais dans ce même ciel luit maintenant l’immense lune rouge et maladive dont il n’avait auparavant vu que le reflet. Inquiet, Liam se hâte de marcher jusqu’à un ponton auquel est amarrée une petite barque blanche de plaisance, et manoeuvre le frêle esquif pour fendre la mer infinie qui le mènera… qui sait où ?
La lune rouge ayant de plus attiré son regard, le Verbena ne prête pas autant attention qu’il le devrait à son environnement; lorsqu’il baisse à nouveau les yeux, il a la surprise de se retrouver à accoster à une petite île sur laquelle est érigée une bâtisse biscornue. Il la reconnaît: il s’agit de la version de la demeure que lui avait brièvement désignée Ezekiel, au flanc de sa tour, demeure qui n’est autre que le pendant onirique du manoir Alexander. Elle présente un aspect fort étrange, avec ses moulures en fer forgé; il y aperçoit également une lanterne de fer noir, accrochée au mur au niveau du premier étage, qu’il est à peu près certain de ne pas avoir vue dans le monde physique.
Décidant qu’il s’agit là d’un signe, Liam pose le pied au sol et grimpe le tertre herbeux pour toquer à la porte. A ce moment, Floyd, dans ses propres rêves, prend conscience de cela, et se rêve alors à demander à son majordome Grisham d’aller ouvrir. Grisham n’est autre que son Avatar, et sa présence lui semble ici tout à fait normale. Grisham s’exécute et fait entrer Liam. Le Verbena découvre là un homme grand et carré, le flegme britannique incarné, mais quelque chose de malsain se dégage de lui: ses gestes sont trop rigides, et il ne cligne jamais des yeux…
Géométrie variable
Floyd ne réalise pas pour le moment qu’il s’agit d’un rêve; il ne se trouble que légèrement en découvrant l’eau qui entoure son jardin à dix mètres de là, et en conclut juste qu’il a beaucoup plus au cours de la nuit. Lui et Liam s’installent dans le petit salon, où Grisham leur sert une collation. La demeure est subtilement différente de celle à laquelle Liam avait commencé à s’habituer: ses murs et ses plafonds ne sont pas tout à fait droits, comme si l’architecte les ayant conçus avait eu de sérieux problèmes de perception spatiale. Le salon lui aussi est différent. Le miroir n’y est plus qu’une surface d’un noir d’encre, le portrait de Wolfram McAlexander le représente vêtu d’un uniforme militaire, quant au large tableau dépeignant la bataille de Culloden, on y voit à présent un soldat fuyant à cheval le champ de bataille, et plus précisément son propre camp… un soldat qui n’est justement autre que Wolfram lui-même.
Floyd se comporte de façon trop rationnelle, peinant à croire son compagnon qui ne cesse de lui affirmer qu’il s’agit d’un rêve; aux yeux de Liam, il apparaît inversement comme un somnambule. Tous deux mentionnent brièvement la nécessité d’inhumer Miss Valentine, et Liam suggère Bushy Park, promettant d’y aller en reconnaissance le plus tôt possible. Floyd est également fort inquiet pour l’état mental de Charles, qui lui semble hanté par ce que Liam pense avoir été sa première véritable confrontation directe avec la mort; mais de ceci, l’Euthanatos n’est pas si sûr, l’Orphelin semblait à ses yeux cacher quelque chose, des souvenirs refoulés, peut-être. La mention de cette fuite ramène Liam au tableau et à son fuyard; très calmement, Floyd lui révèle alors qu’il s’agit bien de Wolfram, qui a déserté Culloden après avoir prévenu l’état-major écossais de la débâcle à venir et constaté que personne ne l’écoutait. C’est suit à cela qu’il est parti à Londres, que son nom est devenu simplement “Alexander”, signe de disgrâce, et que la famille a perdu toutes ses terres du Nord. Floyd est toutefois surpris, car pour lui, ce tableau a toujours été ainsi.
Préoccupé, Liam se dit que ce pourrait être l’occasion de parler également à Genevra, et demande à la voir. Floyd doute qu’elle soit réveillée, mais emmène son compagnon vers la chambre de la jeune fille, dont le mobilier est lui aussi différent. (Près de l’escalier, Liam remarque que les planches barrant l’accès à l’étage sont ici remplacées par une lourde porte de fer forgé.) Curieusement, le lit de Genevra est vide, les draps même pas défaits, et il n’y a nulle trace de l’adolescente. Autre chose étrange: quand il prend quelques uns de ses livres, Floyd n’arrive pas à lire ce qui y est écrit. Le médecin est de plus en plus confus, et Liam essaye à nouveau de lui faire comprendre qu’il est dans l’Oneiros, même s’il peut sentir son pouls et autres signes d’être “vivant”. Liam commence à se demander si leur mésaventure à Bedlam n’a pas contribué à éveiller en Floyd une capacité psychique jusqu’ici restée latente et insoupçonnée.
La forêt d’argent
Le Verbena pense que Genevra n’est pas nécessairement en danger, que peut-être elle s’est simplement rendue ailleurs dans les rêves. Floyd demande à Grisham s’il a vu la jeune fille; le majordome l’a seulement entendue marcher, avant l’arrivée de Liam, peut-être pour aller dans le jardin. Or, celui-ci est inondé. Liam explique qu’il en était ainsi sans doute seulement parce que lui-même est arrivé par le biais du Viaduc, mais que peut-être les choses ont changé, et les deux hommes vont aller voir. En effet, une fois dehors, ils constatent que l’île et les eaux ont disparu, ne laissant autour du manoir qu’une forêt, à près de deux cents mètres de là. Pince-sans-rire, Grisham suggère que peut-être quelqu’un a déplacé la demeure. Il tend à Floyd son manteau, et lorsque les deux mages s’éloignent, lui souhaite simplement “Bonne cueillette, Monsieur”. Floyd ne peut l’interroger sur le sens de cette phrase, car le majordome a déjà disparu. Mais une fois arrivés à l’orée du bois, ils comprennent enfin : devant eux s’étend un chemin bordé d’arbres argentés, aux branches desquelles sont suspendus d’innombrables livres… des cahiers reliés qui laissent à Floyd une désagréable sensation de déjà-vu.
Il en saisit un: il s’agit de la copie conforme du livre maudit que possédaient les Morrow. Il n’y a aucun titre ni sur la couverture, ni sur la tranche, et toutes les pages sont blanches; lorsqu’il les tourne, néanmoins, Floyd a la surprise de voir glisser au sol une note de musique, qui se délite et disparaît dès qu’il essaye de la toucher. Epouvanté, l’Euthanatos réalise alors que dans chaque arbre se trouve pas moins d’une vingtaine de ces ouvrages. Il révèle à Liam de quel livre il s’agit, celui-là même qui est entre les mains de Stockwell, “un homme qu’il vaut mieux ne pas fréquenter si l’on tient à la vie”. Comme il est très étrange de trouver un tel manuscrit ici, Floyd est convaincu que Genevra est passée par le bois, et que c’est sa présence qui a altéré le décor (cela lui est confirmé lorsque Liam lui dit qu’on peut effectivement modeler les Rêves). Les arbres blancs ne constituent de plus qu’une partie de la forêt, et donc une probable piste à suivre. Il demande alors à Liam de remonter sa trace, et très vite, le Verbena parvient à repérer un mince fil d’argent serpentant le long du chemin, une variante du fil d’argent reliant l’esprit d’un mage à son corps lorsqu’il voyage dans l’Umbra. Les deux hommes ne savent pas vraiment pourquoi ils ont trouvé cette piste: peut-être parce que Liam cherchait à l’origine un lien avec Aidan ou Genevra? Quoi qu’il en soit, ils suivent ce fil ténu, mais maintenant aisément repérable.
Là où disparaissent les arbres d’argent, la forêt se fait sombre et touffue, comme si elle était issue d’un conte de fées qui aurait viré au cauchemar, inquiétante et toute vibrante d’une atmosphère lourde et tendue. Au bout d’un moment, les deux hommes finissent par sentir une très légère odeur de brûlé, mais pas celle d’un simple feu: l’odeur de la poudre à canon… et c’est justement dans cette direction que serpente le fil d’argent de Genevra! Par prudence, Liam sculpte la substance du Rêve pour matérialiser un couteau pour lui-même, et une canne-épée qu’il tend à Floyd. Puis ils se hâtent dans le sous-bois, à la poursuite de la jeune fille.